Lucia Sousa se faufile entre les tables jonchées de tissus, s'installe devant sa machine à coudre et s'attelle à la tâche qui l'occupe depuis 37 ans: fabriquer des vêtements. Des gestes routiniers qui prennent aujourd'hui une signification spéciale: dans deux semaines, ce sont des Chinois qui feront son travail. Et elle n'a aucune idée de ce qu'elle fera.

Lucia Sousa se faufile entre les tables jonchées de tissus, s'installe devant sa machine à coudre et s'attelle à la tâche qui l'occupe depuis 37 ans: fabriquer des vêtements. Des gestes routiniers qui prennent aujourd'hui une signification spéciale: dans deux semaines, ce sont des Chinois qui feront son travail. Et elle n'a aucune idée de ce qu'elle fera.

Mme Sousa fait partie des 85 employés de Cardinal Clothes qui perdront leur emploi à la fin du mois d'octobre. Le scénario est trop bien connu dans le monde du vêtement québécois: l'entreprise a annoncé qu'elle fabriquera désormais ses manteaux haut de gamme en Chine.

Il y a deux semaines à peine, c'était Gildan qui annonçait une relocalisation vers l'Amérique centrale et les Caraïbes, entraînant la perte de plus de 200 emplois au Québec d'ici la fin de l'année. " Chaque mois, chaque semaine, on a des fermetures, des mises en pied. Il est temps d'agir ", a lancé hier Lina Aristeo, vice-présidente à la FTQ et directrice du Conseil du Québec (UNIS), le syndicat qui représente les travailleurs de Cardinal Clothes.

Au cours des six dernières années, 26 300 emplois ont ainsi disparu dans la province dans la fabrication de vêtements. Ceux qui manufacturent le textile sont aussi durement touchés: ils étaient 25 400 au Québec en 2000, ils ne sont plus que 17 700.

Sauvetage

Devant cette saignée, le syndicat s'est allié avec l'opposition politique, hier, pour réclamer à nouveau l'intervention du gouvernement. La fermeture de l'atelier de Cardinal Clothes, entreprise familiale établie à Montréal depuis 1938, frappe la circonscription de Gilles Duceppe. Le chef du Bloc québécois a sauté sur l'occasion pour dénoncer l'inaction du gouvernement Harper. Selon lui, la thèse voulant que les pertes d'emplois soient inévitables dans le contexte de la mondialisation ne tient pas la route.

" Les États-Unis ont réagi, l'Europe aussi. On se demande pourquoi le gouvernement canadien, lui, ne fait rien ", a lancé hier M. Duceppe.

Depuis janvier 2002, les barrières qui protégeaient les industries canadiennes s'effritent progressivement, exposant les entreprises locales à la féroce concurrence chinoise. M. Duceppe a toutefois rappelé que les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) prévoient une porte de sortie: pendant trois ans, il est permis de rétablir les quotas sur les importations chinoise à titre de mesure de sauvegarde.

Cette mesure n'empêcherait pas les vêtements chinois d'atteindre le Canada, ni même d'en réduire la quantité: elle ne ferait que limiter leur augmentation à 7,5 % par année jusqu'en 2008. Les États-Unis ont érigé de tels quotas, tandis que l'Union européenne a choisi de négocier directement avec les Chinois. Pour M. Duceppe, il s'agirait d'une mesure temporaire, certes, mais qui permettrait à l'industrie de " s'adapter et choisir des créneaux et des spécialités où elle est compétitive ".

Les syndicats et l'opposition réclament aussi des programmes d'encouragement qui habilleraient, par exemple, les soldats et les policiers canadiens de vêtements confectionnés au Canada.

La bonne nouvelle, c'est que le siège social et les emplois de design de Cardinal Clothes resteront à Montréal, même si l'employeur refuse de dire combien. " C'est ce qui se passe de plus en plus, explique Mario Polèse, détenteur de la chaire de recherche en études urbaines et régionales à l'Institut National de la recherche scientifique. Les activités sensibles au coût de main-d'oeuvre s'en vont. Mais que tout ce qui est siège social, design, marketing, distribution, reste ici ".

Un constat qui ne rassure pas Lucia Sousa. À 53 ans, l'immigrée d'origine portugaise ne se fait pas d'illusion: " l'après Cardinal Clothes " s'annonce difficile.

" Je ne sais pas lire ni écrire et je n'ai pas de connaissances avec les ordinateurs ", confie-t-elle. Un coup d'oeil aux tables de travail de l'atelier de Cardinal Clothes suffit pour se convaincre que plusieurs sont dans sa situation. Ces gens qui gagnent en moyenne 11 $ de l'heure, en majorité des femmes immigrantes au-dessus de 45 ans, sont bien mal préparés pour se tailler une place dans la nouvelle économie.

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