Dans 40 % à 50 % des plaintes en harcèlement psychologique, la présumée victime et le harceleur sont des salariés. C'est la grande bête noire des syndicats.

Dans 40 % à 50 % des plaintes en harcèlement psychologique, la présumée victime et le harceleur sont des salariés. C'est la grande bête noire des syndicats.

En milieu syndiqué, chaque unité locale est responsable du traitement des plaintes de ses membres. Cette décentralisation rend impossible de chiffrer l'ampleur des plaintes chez les syndiqués.

Les griefs déposés en vertu des dispositions sur le harcèlement de 2004 et qui ont atteint l'étape de l'arbitrage semblent, jusqu'à maintenant, plutôt rares. « Il y a pas mal de tamisage par les syndicats », analyse Me François Hamelin, un des arbitres les plus respectés au Québec.

Me Francine Lamy, qui représente des syndiqués chez Grondin Poudrier confirme: «Pour un cas soumis à un arbitre, les syndicats et leurs procureurs en ont traité 24 autres», dit-elle.

Certains indices laissent toutefois croire que le volcan du harcèlement couve également en milieu syndiqué. Les salariés des syndicats ont tous au moins un cas, souvent plus, à traiter.

Pour eux, il s'agit d'un nouveau rôle. Alors qu'ils ont été embauchés et formés pour s'occuper des « relations de travail », ils doivent maintenant se transformer en experts des « relations humaines ».

Situations kafkaïennes

Éric Gosselin, professeur en psychologie du travail à l'Université du Québec en Outaouais et enquêteur dans des dossiers de harcèlement, rapporte un scénario kafkaïen.

«Dans un cas, j'ai évalué que le plaignant était victime de harcèlement de la part d'un collègue. L'employeur a pris des mesures contre le harceleur, qui a ensuite porté plainte contre sa victime et l'organisation. Le patron et le syndicat ne savent plus quoi faire », dit-il.

Me Francine Lamy observe par ailleurs que le soutien aux plaignants requiert énormément de temps et est très exigeant au plan psychologique pour les militants syndicaux.

Natacha Laprise, conseillère au Service des relations de travail de la CSN, confirme et ajoute : « Le harcèlement est souvent insidieux et sournois. Pour le reconnaître, il faut faire des enquêtes rigoureuses qui départagent les faits et les perceptions. Et quand ce n'est pas du harcèlement, il y a à tout le moins un conflit qu'il faut chercher à résoudre. »

L'affaire se corse encore plus lorsque le conflit met en cause deux ou plusieurs membres du même syndicat.

«Les syndicats sont coincés. En plus, l'article 47.2 du Code du travail les oblige à représenter leurs membres et permet à ces derniers de poursuivre leur syndicat s'il refuse de déposer un grief ou fait preuve de négligence dans le traitement d'une plainte », précise Me François Hamelin.

Depuis juin 2004, la Commission des relations de travail (CRT) a reçu 92 plaintes pour de présumés manquements au devoir de représentation dans des dossiers de harcèlement psychologique. Il y a eu règlement ou désistement dans 69 cas.

Dans les 23 cas jugés par la CRT, 21 plaintes contre les syndicats ont été rejetées alors que deux syndiqués ont obtenu gain de cause.

La vague d'insatisfaction est également ressentie au Groupe d'aide et d'information aux victimes de harcèlement au travail. Depuis deux ans, cet organisme reçoit un grand nombre d'appel à l'aide de syndiqués qui prétendent ne pas être écoutés et bien défendus par leurs représentants.

Ententes contre tribunaux

Dans ces dossiers, la majorité des syndicats favorisent, et de loin, les approches de règlement extra-judiciaires, comme les ententes à l'amiable, la conciliation ou la médiation.

La Direction de la médiation et de l'arbitrage du ministère du Travail traite actuellement une soixantaine de demandes de conciliation formulées par des employeurs ou des syndicats. La Conférence des arbitres du travail du Québec a, de son côté, récemment dressé une liste d'une trentaine d'arbitres intéressés à agir comme médiateurs dans ces dossiers.

«La voie juridique n'est pas la meilleure approche pour résoudre les conflits », résume Francine Lévesque, vice-présidente en condition féminine de la Fédération de la santé et des services sociaux de la CSN.

Me Anne Pineault, conseillère juridique à la CSN, observe par ailleurs que la majorité des victimes de harcèlement ne rêvent pas de se pointer au tribunal. « Leur objectif est que ça arrête. Pas de gagner en cour », dit-elle.

Les syndicats ont une autre raison de réduire les recours juridiques. L'examen d'une seule plainte en harcèlement peut coûter, dans les dossiers complexes, jusqu'à 150 000 $, uniquement en frais d'arbitrage.

Dans le secteur privé, ces frais sont généralement payés à égalité par l'employeur et le syndicat. Dans les secteurs de la santé et des services sociaux, c'est la règle du «qui perd paie» qui prévaut depuis janvier 2005.

Une seule cause perdue peut suffire à vider les coffres.