L'industrie canadienne de la défense se plaint d'avoir à ségréguer ses employés pour se conformer aux exigences des États-Unis, qui excluent les ressortissants de 25 pays de la fabrication d'armes stratégiques destinées à l'armée américaine.

L'industrie canadienne de la défense se plaint d'avoir à ségréguer ses employés pour se conformer aux exigences des États-Unis, qui excluent les ressortissants de 25 pays de la fabrication d'armes stratégiques destinées à l'armée américaine.

Selon le président de l'Association des industries canadiennes de défense et de sécurité, Timothy Page, cette restriction touche un nombre significatif de travailleurs répartis dans presque toutes les entreprises canadiennes de la défense.

«Notre secteur emploie 70 000 personnes et fait la moitié de ses affaires aux États-Unis», souligne-t-il.

Combien d'employés viennent de pays jugés hostiles par le gouvernement américain ?

«Nous sommes un pays peuplé par des gens du monde entier», répond M. Page, sans pouvoir donner de proportion exacte.

Il ajoute que les industries canadienne et américaine de la défense sont largement intégrées.

La loi américaine sur la circulation internationale des armes n'est pas nouvelle, mais alimente un débat éthique depuis que Bell Helicopter a dû écarter une vingtaine d'employés de la fabrication d'hélicoptères commandés par l'armée des États-Unis.

L'entreprise de Mirabel a demandé sans succès une dérogation.

M. Page insiste pour sa part sur le préjudice commercial que subit selon lui l'industrie canadienne, allant jusqu'à parler d'une «barrière non tarifaire» entre les deux pays.

«Toute compagnie qui veut faire des affaires au sud de la frontière doit ségréguer ses employés. Ça engendre à la fois des coûts et des inefficacités, et ça réduit notre capacité industrielle à jouer notre rôle dans la défense commune de l'Amérique du Nord.»

Mais au moins deux entreprises québécoises se conforment sans broncher aux exigences américaines.

Selon la porte-parole de CAE, Nathalie Bourque, elles ne posent pas de problèmes concrets et s'apparentent aux requêtes d'autres pays.

«On a assez de travail pour que les gens qui ne sont pas habilités à travailler sur un produit fassent autre chose, assure Mme Bourque. C'est comme quand un client chinois nous demande de pouvoir travailler avec un ingénieur chinois. Ça fait partie de la vie des entreprises internationales d'aujourd'hui.»

«On n'a pas le choix de respecter nos ententes contractuelles avec nos clients et on fait 50 % de nos affaires aux États-Unis», dit le PDG de la société de produits aérospatiaux Héroux-Devtek, Gilles Labbé.

«Je ne suis pas là pour décider ce qui est éthique ou pas, mais j'ai la responsabilité de donner du travail à mes employés», poursuit-il.

La loi ITAR (de son acronyme anglais) est en fait largement antérieure au 11 septembre 2001. Mais peu avant cette date, des exemptions dont profitaient les compagnies canadiennes ont été éliminées.

Le climat d'insécurité qui s'est installé depuis n'a évidemment rien fait pour arranger les choses.

Elle s'applique à tout citoyen né dans un pays figurant sur la liste noire des États-Unis, eût-il passé presque toute sa vie au Canada.

«On parle de gens qui ont le passeport canadien», s'indigne Timothy Page.

Son association réclame que le passé des employés remplace leur nationalité d'origine comme critère d'accès aux contrats américains.

Les fonctionnaires canadiens travaillent «d'arrache-pied» à changer les règles, mais sans résultats, selon M. Page. Il croit que seule une entente politique conclue au plus haut niveau pourra régler le problème.

L'Association des industries canadiennes de défense et de sécurité ne peut dire si des candidats se sont déjà vu refuser un emploi à cause de leur origine.

Chez CAE et Héroux-Devtek, on assure que ce n'est jamais arrivé.

«On a 107 nationalités, dit Nathalie Bourque. On embauche sur la base des compétences.»