Le prix du blé, du maïs et du soya est en hausse. Tant mieux pour les producteurs de céréales qui voient enfin leurs revenus augmenter.

Le prix du blé, du maïs et du soya est en hausse. Tant mieux pour les producteurs de céréales qui voient enfin leurs revenus augmenter.

Les éleveurs et les transformateurs alimentaires, grands consommateurs de grains, voient les choses autrement: tôt ou tard, ils devront débourser plus pour livrer leurs produits. Refileront-ils la note aux consommateurs?

Que ceux qui craignaient voir leur note d'épicerie augmenter autant que le prix des céréales se rassurent. La hausse du coût du maïs n'a pas encore eu de répercussion dans l'assiette des Québécois.

«Avant que ça ne se rende à la table, il nous reste encore du temps», estime Jean-Marc Lafrance, directeur du Centre d'étude sur les coûts en agriculture.

Pas de panique dans les allées d'épicerie, disent les spécialistes. Entre le prix du blé et la boîte de céréales à déjeuner, la ligne n'est pas toujours droite.

«L'augmentation du prix agricole ne se reflète pas nécessairement dans le produit au détail», avertit Daniel-Mercier Gouin, professeur à l'Université Laval et titulaire de la Chaire d'analyse de politiques agricoles.

«C'est le même phénomène que lorsqu'il y a une hausse du coût de l'énergie», dit-il. Daniel-Mercier Gouin rappelle toutefois qu'il y a souvent asymétrie dans la transmission des prix. «Les hausses sont transmises relativement rapidement aux consommateurs alors que les baisses se transmettent, mais plus lentement...»

«Ça va changer le prix de certains produits, dit-il. Mais il faut savoir quelle est la part du produit agricole dans le produit fini.»

Dans le prix du détail de la denrée, la part occupée par la céréale est souvent minime, explique Luc Belzile, de la Fédération des producteurs de grandes cultures, c'est-à-dire, les céréales. Les recettes de certains produits industriels sont parfois surprenantes. «Pour une bouteille de bière, le coût de l'orge est de 3 à 5 cents. Pour un pain blanc tranché, le blé a coûté de 8 à 10 cents», estime-t-il.

L'évaluation est conservatrice. Les recettes changent d'un produit à l'autre et dans des cas de produits fins, la part augmente évidemment. Chez Première Moisson, les céréales dans les pains de spécialité occupent beaucoup plus que 5% parce qu'ils sont faits avec des farines vieillies ou des farines plus riches faites à la main. Et les Corn Flakes sont effectivement faites de... maïs!

Heureusement pour les transformateurs alimentaires, les achats sont faits longtemps à l'avance. «Il est trop tôt pour parler des impacts chez nous parce que les achats se font des mois à l'avance et que les prix sont gelés, explique Stéphane Fiset, de la boulangerie Première Moisson. Pour l'instant, je n'ai pas payé ma farine plus chère. Mais on est nerveux, c'est certain.»

Les transformateurs alimentaires n'ont pas de cadeau à faire à personne et ils voudront conserver leurs marges de profit, en dépit des augmentations, rappelle le professeur Daniel-Mercier Gouin. Mais la compétition est forte sur les tablettes d'épicerie. «Si Corn Flakes était tout seul, explique-t-il, son fabriquant aurait plus de marge de manoeuvre.»

Vrai, répond Jean Leclerc de la biscuiterie du même nom. Mais si la hausse se poursuit, le consommateur devra débourser plus. Tôt ou tard. Compétition ou pas. «On essaie de vivre avec, d'être plus efficace, explique Jean Leclerc. Mais ça prend de la farine pour faire des biscuits. On ne peut pas remplacer ça.»

Heureusement, dit le patron des Biscuits Leclerc, il y a aussi des fluctuations dans le prix des denrées. Si le cacao monte, le sucre peut descendre.

«On surveille ça tous les jours, dit Jean Leclerc. C'est un peu comme surveiller la Bourse. À court terme, on ne fera pas d'augmentation, c'est sûr.»

Plus dur pour la viande

La situation est différente pour les éleveurs, puisque l'alimentation représente une part importante du coût de production. Chez les producteurs laitiers, l'alimentation compte pour environ 10% du coût de production.

Pour le boeuf de qualité, qui est fini au maïs, ça peut facilement aller jusqu'à 30%. Dans le cas des porcs et de la volaille, le coût de l'alimentation représente au moins 40% du total des frais de production.

«À un certain moment, c'est inévitable: il va y avoir une hausse du prix de la viande, explique Luc Belzile. Mais pour les producteurs, ça ne voudra pas dire une baisse de la demande parce que c'est un produit essentiel.»

Rien n'est moins sûr, selon l'agronome Stéphane D'Amato. Certaines familles déboursent déjà le maximum pour leur épicerie, malgré les prix québécois relativement bas. «Si le prix de la viande est trop élevé, ça va créer des nouveaux marchés, pour des nouveaux produits, dit-il. Peut-être qu'on va développer d'autres sources de protéines. Des légumineuses, par exemple. Ça va s'équilibrer. On n'est pas condamnés à manger du boeuf.»

Pour l'instant, les producteurs bénéficient aussi d'une période tampon puisqu'ils ont des stocks qui comptent souvent pour des mois de nourriture.

Et comme les transformateurs alimentaires, ils joueront de créativité pour limiter la hausse de coût. Des agriculteurs pourraient légèrement modifier la nourriture de leurs animaux. Certains utilisent aussi des résidus de maïs provenant des usines d'éthanol ou des nouvelles formes de soya. Dans le cas du porc, on pourrait aussi réduire le poids des animaux.

«La hausse va être absorbée s'il y a beaucoup de porcs, dit le professeur Daniel-Mercier Gouin. Les producteurs devront les écouler.» Toutefois si des problèmes économiques affaiblissent les producteurs, explique-t-il, à moyen terme, le nombre d'animaux va baisser et ça va avoir des répercussions sur le coût au marché.

«C'est certain que le prix des aliments va monter, tôt ou tard», indique Loïc Dewavrin, producteur de céréales biologiques à Les Cèdres, à l'Ouest de Montréal. Pour l'instant, sa ferme n'est pas vraiment touchée par toutes ces spéculations parce que les céréales biologiques ne servent pas à faire du biocarburant, ce qui est à l'origine de tous ces bouleversements.

«Les gens ne se rendent pas compte qu'il faut payer pour manger, dit-il. La question qu'il faut se poser est: est-ce qu'on veut subventionner l'agriculture ou payer plus cher pour ce que nous mangeons.»