L'immobilier est le plus important investissement des Canadiens. Leur maison représente le tiers de leurs avoirs. Est-ce suffisant? Les investisseurs devraient-ils s'aventurer dans l'immobilier, au-delà de leur propre toit?

L'immobilier est le plus important investissement des Canadiens. Leur maison représente le tiers de leurs avoirs. Est-ce suffisant? Les investisseurs devraient-ils s'aventurer dans l'immobilier, au-delà de leur propre toit?

À voir les fonds privés, les régimes de retraite, les grandes entreprises et les familles fortunées investir à qui mieux mieux dans l'immobilier, on serait porté à répondre par l'affirmative.

En effet, l'immobilier (comme plusieurs autres secteurs, il faut bien le dire) est présentement le théâtre d'acquisitions en séries (voir autre texte).

Les grands investisseurs sont attirés par l'immobilier car le secteur leur procure des revenus constants et stables (les loyers), leur offre une protection contre l'inflation, leur permet de diversifier leurs placements à l'extérieur des catégories de placements traditionnelles (actions, obligations) et ainsi de réduire le niveau de risque de leurs portefeuilles.

Les régimes de retraite ont besoin de revenus pour payer des rentes. Comme le rendement des obligations à long terme (10 ans) est très bas (inférieur à 5%), l'immobilier est une façon d'accroître leur rendement, sans courir trop de risque, ajoute Carlos Leitao, économiste chez Valeurs mobilières Banque Laurentienne.

Des prix dans le tapis

Les capitaux qui affluent de toutes parts dans l'immobilier ont gonflé les prix. En 2006, les fiducies immobilières (REIT) à la Bourse canadienne ont livré un rendement total de 25%, presque autant qu'en 2005.

Ailleurs dans le monde, elles ont encore mieux fait. Aux États-Unis, les fiducies ont gagné 36% l'an dernier, surpassant l'indice général du marché (S&P500) pour une septième année consécutive.

Trop beau pour durer? «Quand une catégorie d'actif gagne en popularité, cette popularité a un prix», convient Neil Downey, analyste aux Marchés des capitaux RBC. Mais il assure que les perspectives sont encore bonnes, même si la forte poussée des dernières années laisse moins de place pour le rendement futur.

En effet, le rendement des fiducies (leurs distributions annuelles, en pourcentage du cours de leur titre) est présentement moins généreux (environ 5 à 6%) qu'à la fin des années 90 (plutôt 9 à 10%), souligne Jean Duguay, chef des investissements chez Gestion de placements Eterna.

Il y a six ans, l'écart entre le rendement des obligations à long terme (10 ans) et le rendement des fiducies était beaucoup plus large. Autrement dit, il était plus payant de prendre un risque supplémentaire.

Plus cher, l'immobilier devient plus vulnérable. Malgré tout, «il est difficile de penser que ça va s'écraser», dit M. Duguay. Pas de hausse de taux d'intérêt marquée à l'horizon. Pas de récession en vue. Le ciel est encore bleu...

Pas tout cuit dans le bec

Reste à déterminer par quel moyen les particuliers peuvent investir dans l'immobilier. «M. et Mme Tout le monde ne peuvent pas acheter la Place Ville Marie!», blague M. Leitao.

Le marché des «plex» est plus accessible. Mais ce n'est pas un investissement passif. «Les dernières années ont été tellement payantes, que les gens pensent qu'ils vont acheter une résidence et faire des rendements incroyables», déplore Yvon Rudolphe, courtier immobilier agréé pour Rudolf Patrimoine Conseil.

Or, ce pas n'est pas tout cuit dans le bec! «Il faut y mettre du sien, pour maximiser son rendement. Sinon, ça ne prend pas de valeur», dit M. Rudolphe. Comme le marché des «plex» a déjà pris beaucoup de valeur, il reste moins de marge de manoeuvre pour rentabiliser son investissement.

Le commercial est resté plus abordable, estime M. Rudolphe. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, ce marché n'est totalement fermé aux petits investisseurs. «On peut faire beaucoup de sous. Mais il faut le traiter comme une petite entreprise», dit-il.

Qui aurait dit, il y a 10 ans, que la rue Masson dans l'est de Montréal aurait un jour des petits airs de Plateau Mont-Royal? Celui qui a senti le vent tourner et a repris des locaux commerciaux s'en est tiré à merveille.

Mais l'immobilier commercial est un marché beaucoup plus spéculatif que le résidentiel, qui est tributaire de l'augmentation de l'achalandage découlant des projets de développement à proximité.

Actions, fonds et REIT

Il est certainement plus simple pour les particuliers d'investir dans l'immobilier par l'entremise de la Bourse, à l'aide de fiducies ou d'actions.

Le tout est de sélectionner les titres en fonction de la qualité de l'équipe de gestionnaires, de l'historique de l'entreprise, du potentiel de croissance (surtout dans le cas des sociétés), de la sécurité et de la constance des distributions (surtout dans le cas des REIT), de la qualité des actifs et les secteurs d'activités précis.

Par exemple, le secteur des résidences pour aînés s'est moins bien porté à la Bourse l'an dernier. Ceux qui ont joué le thème du vieillissement de la population avaient des attentes trop élevées. Ce segment de marché est désormais moins cher.

Les investisseurs qui veulent une grande diversification, ou qui souhaitent investir à l'échelle planétaire, se tourneront plutôt vers des fonds communs de placements spécialisés en immobilier.

On trouve aussi des fonds indiciels négociés en Bourse spécialisés en immobilier qui exigent des frais de gestion beaucoup plus bas.

L'argent pleut: gare aux frileux!

Les régimes de retraite, les compagnies d'assurance, les fonds d'investissement privés... même les princes saoudiens ont déversé leurs milliards dans le marché immobilier ces dernières années. Et ça continue de plus belle...

Aux États-Unis, le fonds privé Blackstone a été forcé de surenchérir cette semaine pour mettre la main sur Equity Office Properties Trust, le plus important gestionnaire d'édifices inscrit à la Bourse. La transaction s'élève à 39 milliards (incluant la dette), ce qui en fait la plus importante prise de contrôle jamais vue dans l'immobilier.

Au Canada, les investisseurs assistent à une lutte à trois pour le contrôle de Alexis Nihon. Le fonds de placement immobilier Cominar, de Québec, vient de bonifier son offre. Mais il y a fort à parier que Summit, de Toronto, et que Homburg, d'Halifax, reviendront à la charge.

De son côté, Brookfield Asset Management, la plus grande entreprise immobilière au Canada, est en plein magasinage. Depuis le début de 2007, elle a enfilé trois annonces d'acquisitions : la forestière Longview Fibre (2,2 milliards US), l'australienne Multiplex (valeur de 4,9 milliards US) et les centres d'achat américains Mills Corp. (7,5 milliards US)... mais cette dernière offre a été surclassée cette semaine par un acheteur rival.

«Ses batailles sont précurseurs d'autres prises de contrôle», estime Frank Mayer, analyste chez Valeurs mobilières Desjardins.

Parmi les cibles potentielles, il cite RioCan REIT (centres d'achat) et IPC US REIT (édifices à bureaux aux États-Unis. IPC vient de planter une pancarte «À vendre» à sa porte) ainsi que Dundee Reit (édifices industriels et à bureaux, avec une bonne présence en Alberta) et Allied Reit (édifices à bureaux dans les grandes villes canadiennes).

La fièvre des acquisitions ne se calmera pas de sitôt, car il pleut de l'argent dans l'immobilier.

«Les fonds privés spécialisés en immobilier auront 50 à 60 milliards US à investir au cours des 12 mois se terminant en septembre 2007. En tenant compte de l'effet de levier, ils pourraient donc faire des acquisitions d'environ 200 milliards US», rapporte Neil Downey, analyste pour les Marchés des capitaux RBC. Mais attention! Les investisseurs qui achètent des REIT sont souvent plus frileux. Par exemple, beaucoup de retraités, en quête de revenus, se sont tournés vers les REIT comme alternative aux faibles rendements des obligations.

Or, la fièvre des fusions qui enflamme le secteur (mais le rend aussi plus spéculatif) ne doit pas amener les investisseurs plus prudents à étirer leur tolérance au risque. Sinon, la pilule sera difficile à avaler.