Oubliez les bolides qui vrombissent et le sang qui gicle. Après avoir conquis le jeune mâle, l'industrie du jeu vidéo veut séduire de nouveaux publics. En troquant l'adrénaline et la testostérone contre l'originalité et la simplicité.

Oubliez les bolides qui vrombissent et le sang qui gicle. Après avoir conquis le jeune mâle, l'industrie du jeu vidéo veut séduire de nouveaux publics. En troquant l'adrénaline et la testostérone contre l'originalité et la simplicité.

Les cadeaux sont déballés, la frénésie des soldes d'après Noël passée. Pour l'amateur de jeux vidéo en vacances, il n'y a pas mille façons de passer ses journées.

Les plus chanceux les brûleront à s'acharner sur les manettes de leur nouveau jouet; les autres, à faire des pieds et des mains pour se procurer leur console préférée qu'on s'arrache comme des petits pains chauds.

Ceux qui fabriquent et vendent des jeux vidéo font aussi des voeux par les temps qui courent. Numéro un sur la liste: voir autre chose que des jeunes hommes passer les Fêtes les yeux rivés sur un écran cathodique. En ce sens, rien ne leur ferait plus plaisir que de jeter un oeil dans le salon de Catherine Germain.

Ils risqueraient d'y surprendre une scène qui, depuis Noël, s'y déroule à répétition: la jeune femme de 28 ans se déhanchant un son d'un hit du groupe Technotronic, perchée sur une petite plateforme où elle tente désespérément de poser les pieds aux bons endroits.

La nouvelle coqueluche de Mme Germain s'appelle le Dance Dance Revolution Ultramix à l'origine un jeu d'arcade aujourd'hui disponible sur la console Xbox, et qui promet de faire danser, pour vrai, ses adeptes.

Catherine Germain n'a pourtant pas grandi entourée de jeux vidéo. Et passer un jour de congé affalée dans un sofa, une manette dans les mains, très peu pour elle. Exactement la clientèle qui échappait jusqu'à tout récemment à une industrie qui, avec ses 25,4 milliards dollars US de revenus en 2004, surpasse maintenant celle du cinéma en salle.

Des gens comme Catherine Germain, Pierre-Paul Trépanier, directeur du marketing chez Nintendo Canada, les voit dans sa soupe. "Élargir la population intéressée par les médiums interactifs comme les jeux vidéo: c'est le coeur de notre mission", a-t-il martelé à La Presse Affaires lorsque joint à ses bureaux de Vancouver.

Ce nouveau mantra, les fabricants de jeux ne le répètent pas pour rien. " Il y a beaucoup de signes inquiétants dans notre industrie", dit M. Trépanier. Un exemple: il y a 20 ans, les consoles Nintendo, fin seules sur le marché, s'étaient infiltrées dans 36% des foyers nord-américains. Aujourd'hui, l'entreprise doit partager le marché avec Sony et Microsoft. Tous ensemble, ils trônent maintenant dans 33% des mêmes maisons. Une baisse.

Comment soutenir une croissance avec une concurrence accrue et un produit dont la pénétration de marché est en déclin? "En vendant sans cesse plus de choses aux mêmes personnes", répond M. Trépanier.

Ces gens, ce sont évidemment les jeunes hommes, qu'on gave depuis plus de deux décennies de jeux de sports, de tir, de course et d'aventures sans cesse plus spectaculaires. Sauf que l'industrie commence à réaliser qu'il y a des limites à presser le même citron. Le signal d'alarme le plus fort est venu du Japon. Un pays qui toujours été en avance en matière de jeux vidéo et où le marché est en baisse depuis quelques années.

Gameloft, une entreprise qui développe des jeux pour les téléphones portables, fait partie de ceux qui ont réalisé qu'on avait oublié quelque chose dans l'équation: les filles. "À un moment donné, on s'est dit que c'était bête de passer à côté de 50% de la population", dit Stéphane Mouchel-Vichard, directeur général de Gameloft Canada.

Les dirigeants de l'entreprise ont regardé autour d'eux perplexes. "Si vous voyiez nos locaux c'est au moins 85% d'hommes", lance M. Mouchel-Vichard. Qu'à cela ne tienne. Dans les studios de Montréal, UNE designer de jeu et UNE graphiste se sont vues investies d'une mission: accoucher d'un jeu fait par et pour les filles. Le résultat: New York Nights, un jeu mettant en vedette une jeune femme qui débarque à New York les poches vides, avec comme objectif d'y bâtir sa vie.

Objectif baby-boomers

Le succès? Globalement, il est foudroyant. Sur les téléphones portables, mais aussi sur Internet, les femmes sont maintenant plus nombreuses que les hommes à jouer à des jeux vidéo.

La prochaine étape était encore plus audacieuse. L'industrie a regardé les courbes démographiques des pays développés, là où s'écoulent leurs produits. Comme tout le monde, elle a vu le vieillissement de la population. Et compris qu'elle était en train de rater la vague.

"Simplement du point de vue "nombre de jeunes", on a un marché qui est en décroissance", constate Pierre-Paul Trépanier, de chez Nintendo. La réponse de l'entreprise, c'est Brain Age, des exercices vidéo conçus pour "stimuler le cerveau". Au Canada, un docteur torontois a même fait la tournée du pays pour convaincre les baby-boomers d'y jouer pour prévenir l'Alzheimer. "On parle de gens qui ne savaient même pas ce qu'était un Nintendo", se réjouit M. Trépanier.

Pour conquérir ces nouveaux publics, un mot d'ordre: simplicité. Car si les joueurs compulsifs peuvent prendre plaisir à apprendre des combinaisons de boutons complexes pour passer plus rapidement leurs tableaux, ce n'est pas la façon de séduire des gens de prime abord réfractaires à la chose vidéo.

Pour les designers de jeux vidéo, le Saint-Graal est un peu de pondre le nouveau Tetris, ce jeu de blocs tout simple qui a rendu la planète accro en 1987. "On veut des jeux dont la courbe d'apprentissage est instantanée. Des jeux faciles à apprendre, mais difficiles à maîtriser parfaitement", résume M. Mouchel-Vichard, de Gameloft.

C'est l'esprit de la nouvelle Wii de Nintendo moins avancée technologiquement que la PlayStation3 de Sony, mais aussi moins chère, plus intuitive et plus populaire jusqu'à maintenant. C'est aussi l'esprit des jeux de cartes, des puzzles et des sudoku, qui, offerts sur Internet, font un tabac auprès d'un public plus âgé. Des jeux qui, pour l'industrie, sont beaucoup moins longs et chers à développer. Et qui marque un retour à la simplicité volontaire, pour une industrie en pleine campagne de séduction.