Pour investir aux balbutiements d'une petite biotech, il faut plus qu'un esprit de financier; il faut un talent d'entrepreneur et de solides bases scientifiques.

Pour investir aux balbutiements d'une petite biotech, il faut plus qu'un esprit de financier; il faut un talent d'entrepreneur et de solides bases scientifiques.

Noubar Afeyan fait partie de cette génération d'investisseurs-entrepreneurs si difficiles à dénicher au Québec. Élevé à Montréal, de parents libanais, il fait des études en sciences à l'Université McGill, puis au MIT. À 24 ans, son doctorat en génie chimique en poche, il fonde l'entreprise PerSeptive Biosystems, dans la région de Boston, après plusieurs essais infructueux pour obtenir du financement adéquat à Montréal.

Neuf ans plus tard, en 1997, sa "petite" biotech compte 800 employés et se fait acquérir par Perkins-Elmer pour 360 millions de dollars. Fort de son expérience, le jeune entrepreneur fait le grand saut vers le capital-risque (CR). En 1999, il fonde Flagship Ventures, une firme bostonienne spécialisée dans les entreprises de biotechnologies en démarrage.

Son passé d'entrepreneur scientifique lui sert quotidiennement: "Lorsque nous recevons un chercheur avec une bonne idée, nous nous assoyons avec lui et nous complétons son raisonnement avec nos propres idées. Nous ne faisons pas seulement analyser son projet et décider de lui émettre un chèque ou non", explique-t-il.

Mais Flagship Venture va encore plus loin. Des 40 petites biotechs qui se partagent aujourd'hui les 700 millions US de la firme, 13 ont été fondées par Afeyan et son équipe, avec leurs propres idées. Ceux-ci engagent ensuite les scientifiques et les gestionnaires qu'ils croient les plus aptes à mener le projet à terme. "Cette activité n'est pas la plus facile, mais nous la faisons parce que souvent, à la fine pointe d'un domaine scientifique, il y a souvent rien dans quoi investir", ajoute l'expert en CR.

Alors que le démarrage d'entreprise par les investisseurs eux-mêmes est courant aux États-Unis, il fait encore exception au Québec. Dans la même foulée, plusieurs entrepreneurs canadiens et américains font remarquer que la majorité des spécialistes en CR québécois sont davantage des analystes financiers que des gens d'affaires. Bien souvent, tout ce que les entrepreneurs ont au départ, c'est une molécule et quelques brevets en poche, explique Afeyan. "Comment est-ce possible qu'un spécialiste de la finance puisse saisir le potentiel d'une compagnie dans ces conditions?"

Montréal, pas assez élitiste?

Noubar Afeyan garde une affection toute particulière pour la ville où il a grandi (et son club de hockey), mais il n'a encore jamais rien signé avec des entreprises québécoises en démarrage. Pourtant, à en juger par les propos du ministre du développement économique, Raymond Bachand, "le capital d'amorçage est le maillon le plus faible de notre système de financement". Que manque-t-il alors pour que de tels investisseurs viennent combler nos propres lacunes?

"Si vous me demandez ce que ça prend pour que j'investisse à Montréal, ce sont des compagnies de classe mondiale", répond-il péremptoirement. Autrement dit, le nombre d'entreprisees dans la grappe montréalaise des sciences de la vie importe peu. C'est le nombre de BioChem Pharma qui compte. "Pour moi, voilà le genre de compagnies auxquelles le Canada devrait accorder toute son attention. Pour ce qui est du reste, il y a déjà plein de compagnies "moyennes" à Boston. Pourquoi irais-je à Montréal pour en voir d'autres?"

Malgré cette approche caractéristique des CR américains, qui préconisent la dure sélection naturelle plutôt que l'"incubation" chez les jeunes entreprises, le fondateur de Flagship Ventures se dit ouvert à faire des affaires dans la ville de sa jeunesse. "Nous attendons que quelqu'un nous propose cette occasion spéciale d'investir, dit-il. Mais dans notre métier, ce sont les entrepreneurs qui viennent nous rencontrer, et non l'inverse. C'est toujours comme ça que ça marche."