Été 2006. Une jolie cour fleurie. Automne 2006. Même cour. Un champ de bataille éventré.

Été 2006. Une jolie cour fleurie. Automne 2006. Même cour. Un champ de bataille éventré.

Dans l'intervalle, le voisin avait découvert que son terrain était contaminé.

Un dossier sur la question, le 15 avril dernier, faisait état dans nos pages des ennuis d'une propriétaire de petits immeubles d'habitation. Afin de refinancer ses propriétés, son prêteur exigeait une expertise de contamination, pour la simple raison que les immeubles étaient situées à proximité de stations-service.

La catastrophe appréhendée peut aussi frapper les unifamiliales, comme une lectrice nous en a fait part.

Une histoire d'horreur, qui n'a pas encore de conclusion...

Une chaîne de responsabilité

En octobre 2005, Nathalie Lacoste et son conjoint ont acheté leur première maison, un cottage jumelé datant des années 40, dans un quartier montréalais. Amateurs de jardinage, ils aménagent complètement la cour dès le printemps suivant.

À la même époque, la propriété mitoyenne est achetée par un jeune couple. Des travaux de réfection au drain de fondation révèlent la présence d'un vieux réservoir de mazout enfoui. Leur terrain est contaminé. Un entrepreneur entreprend alors l'excavation du sol.

«On s'est mis à s'inquiéter quand on a vu la pelle mécanique s'approcher de notre terrain», raconte Nathalie Lacoste.

Inquiétude justifiée.

Leur clôture est retirée. Les plants sont déplacés. La tranchée creusée chez le voisin s'étire dans leur cour.

La contamination au mazout s'était étendue au terrain de Nathalie. Une expertise de phase 1, au coût de 1300 $, confirme le diagnostic.

Le jeune couple dépose donc un recours contre son voisin. Celui-ci poursuit à son tour l'ancien propriétaire, qui s'attaque lui-même au précédent.

«L'huissier s'est présenté à la maison de retraite pour remettre une mise en demeure à l'ancien propriétaire, qui n'habitait plus les lieux depuis 15 ans ! », narre Mme Lacoste.

Celui-là avait adopté le chauffage électrique en 1975, mais n'avait pas retiré le réservoir enfoui — l'environnement était à l'époque une préoccupation très lointaine.

Ne négligeant aucune avenue, ne sachant pas d'où viendra l'ouverture, Nathalie Lacoste entreprend également des recours pour vice caché contre le précédent propriétaire de sa maison.

Celui-ci rétorque qu'il ignorait que le sol était contaminé — ce qui est précisément pourquoi le vice était caché. Il se retourne à son tour contre son prédécesseur.

«Le bout le plus énervant n'est pas tant de savoir que c'est contaminé, que de ne pas connaître l'étendue de la contamination, s'inquiète Nathalie Lacoste.

Présentement, il y en a peut-être pour 30 000 $ pour le seul trou creusé jusqu'à maintenant. Mais les études montraient que la contamination s'étendait vers le fond du terrain et la véranda.»

Si le mal s'est répandu sous la dalle de béton, il faudra jucher la maison sur pilotis pour retirer le sous-sol, ce qui heureusement est pour l'instant improbable.

Les travaux ont été interrompus quand l'étendue de la contamination sur le terrain de Mme Lacoste a été constatée. Une butte de terre contaminée de près de 2 mètres de haut s'élève toujours dans la cour dévastée.

Certains leur ont conseillé de refermer le trou et d'enterrer l'affaire. « Je ne veux pas que quelqu'un sonne à ma porte à 80 ans », réplique Mme Lacoste.

Assurance incertaine

«Dans le cas où le gouvernement nous forcerait à décontaminer avant même la résolution du dossier, aucun financement n'est disponible », déplore Mme Lacoste. Cette éventualité est peu probable. Par contre, ils devront inscrire la contamination au registre foncier. S'ils veulent maintenir la valeur de leur propriété, il faudra tôt ou tard décontaminer.

Qui va payer?

Certainement pas leur assureur. «En assurance de dommage, la pollution n'est pas couverte, explique Alexandre Royer, porte-parole du Bureau d'assurance du Canada. C'est une exclusion générale.»

On peut bien sûr obtenir une assurance habitation qui inclura les dommages causés par son propre réservoir de mazout.

«Le contrat couvrira une fuite soudaine et accidentelle ou un débordement du réservoir, poursuit M. Royer. Il protège la maison et les biens, et dans certains cas le sol. Si la contamination s'étend au terrain du voisin, le volet de responsabilité civile pourrait la couvrir. Mais il faut magasiner parce que les protections peuvent varier selon les assureurs.»

Ainsi, un assureur pourrait refuser de couvrir un réservoir de mazout dans un garage à moins qu'il ne soit protégé par un muret protecteur en béton. D'autres n'auront pas ces exigences.

Chose certaine, la police offrira une protection contre les dégâts potentiels, et non contre ceux qui se sont déjà produits.

«L'assureur habitation couvre les risques qui pourraient survenir à partir d'aujourd'hui, précise encore Alexandre Royer. Les dommages antérieurs et les vices cachés ne sont pas couverts.»

Pour l'instant, le couple attend anxieusement de connaître la réponse de l'assureur de leur voisin, qui devait tomber cette semaine. Paiera-t-il pour la décontamination complète des deux terrains?

Le coût pourrait s'élever à 150 000 $. Remboursera-t-il le réaménagement de la cour du jeune couple ? Ils y avaient investi 25 000 $, sans compter leur temps.

«L'assureur dira peut-être qu'il couvre tout, espère Mme Lacoste. Pour nous, ce sera terminé. Mais pour les anciens propriétaires, ce ne sera pas le cas.»

À suivre...

En attendant cette issue possible, les frais s'accumulent. L'avocat de Nathalie Lacoste a déjà envoyé une première facture de 800 $ et continue à travailler au dossier.

«Personne ne se sent responsable, donc personne ne veut payer, constate Mme Lacoste. Je serais curieuse de faire des tests dans la rue ou dans la ville de Montréal. On n'est certainement pas les seuls dans cette situation.»

Selon le Diagnostic environnemental de l'île de Montréal, publié en mars 2004 par la Ville de Montréal, l'image préliminaire d'une cartographie de l'incidence de la contamination des sols, en cours de compilation, montre que 10 % du territoire est associé à une incidence modérée et 22 % à une incidence élevée. Il ne s'agit encore que de l'indication d'un potentiel de contamination, mais certains propriétaires se préparent de mauvaises surprises.

Il y a fort à parier que les assureurs et les prêteurs vont se montrer de plus en plus circonspects, et vont exiger plus fréquemment des tests de caractérisation des sols. Pour Nathalie Lacoste, il est trop tard.

«Toute la lignée des propriétaires de notre maison sont eux aussi plongés dans l'histoire, des gens font face à la faillite personnelle, résume-t-elle. Les pelles mécaniques ont été remplacées par des avocats et nous, jeune couple de 30 ans avec sa première maison, nous voyons de jour en jour notre rêve se transformer en cauchemar interminable.»