Carly Fiorina a horreur du statu quo. C'est peut-être pourquoi son règne de six ans à la tête du géant informatique américain Hewlett-Packard a été si mouvementé.

Carly Fiorina a horreur du statu quo. C'est peut-être pourquoi son règne de six ans à la tête du géant informatique américain Hewlett-Packard a été si mouvementé.

Une arrivée éclatante, digne d'une star d'Hollywood. Un départ à couteaux tirés avec le conseil d'administration. Et entre-temps, une fusion tumultueuse - mais réussie - avec Compaq.

«Les mentalités évoluent difficilement, dit l'ex-PDG de HP en entrevue à La Presse Affaires. Les gens résistent toujours aux changements. C'est une réaction humaine qui explique pourquoi les organisations ont naturellement tendance à préserver le statu quo. À mon arrivée chez HP, je représentais le changement de plusieurs façons, notamment en raison de mon genre.»

«Il est très difficile d'apporter des changements dans une grande entreprise. C'est pourquoi ils arrivent souvent trop tard. Quand vous faites des changements à temps, ils sont très controversés. Mais si vous les faites trop tard, vous ratez votre chance.»

«Les constructeurs américains comme GM et Ford ont apporté des changements à leur stratégie très tard. Seul le temps dira s'ils ont trop attendu», ajoute Mme Fiorina, dont l'autobiographie Des choix difficiles vient d'être publiée en français aux Éditions Transcontinental.

L'an dernier, Carly Fiorina n'a pas été surprise d'assister à une vague de fusions et d'acquisitions en Amérique du Nord, notamment au Canada.

«Il y a inévitablement des fusions quand une industrie devient indispensable à la vie des gens, dit-elle. Les consommateurs deviennent plus exigeants et les sociétés ont besoin de davantage de capitaux pour répondre à ces nouvelles exigences.

Plusieurs fusions dans le domaine des télécommunications étaient prévisibles.»

Inco-CVRD. Domtar-Weyerhaeuser. Les fusions impliquant des géants nord-américains lui ont fait revivre les émotions de sa propre fusion HP-Compaq, officialisée en mai 2002. La transaction a été conclue malgré l'opposition des familles des deux fondateurs de HP.

«J'ai énormément de respect pour les familles Hewlett et Packard, dit-elle. Par contre, leur travail n'était pas de diriger HP. C'était le mien. Quand elles se sont opposées (à la fusion), nous avons maintenu notre décision car nous croyions qu'elle était nécessaire. Je respectais leur point de vue, mais je respectais encore plus le point de vue unanime d'un conseil d'administration.»

Aujourd'hui, celle qui a dirigé les destinées - et le chiffre d'affaires annuel d'environ 80 milliards US - de HP entre 1999 et 2005 ne regrette rien. Même si elle comprend certaines des critiques à son égard.

«C'est compréhensible que les gens critiquent une fusion s'ils craignent qu'elle aura un impact négatif sur leur vie, dit-elle. C'est pourquoi les dirigeants qui décident de fusionner leurs sociétés doivent être sûr que ça en vaille la peine. On ne fusionne pas pour plaire aux investisseurs qui veulent faire de l'argent rapidement ou pour régler des problèmes à court terme. On fusionne parce que la santé de la société ne laisse pas d'autre choix. Certaines maladies nécessitent des traitements chocs.»

À la retraite depuis deux ans, Carly Fiorina, 52 ans, s'intéresse toujours au monde des affaires. Particulièrement à l'industrie des technos, où elle a fait sa marque chez AT&T, Lucent Technologies et finalement chez HP.

«Tout devient digital, mobile et virtuel, dit-elle. Le consommateur a davantage de pouvoir. Cette tendance lourde a changé la photographie, la musique, les arts et les nouvelles. Les sociétés ont le choix: soit elles profitent de la tendance, soit elles se laissent détruire par elle.»

L'émergence de la Chine et l'Inde la fascine. «Ces deux pays représentent à la fois des travailleurs qualifiés, des sociétés concurrentes et des nouveaux marchés de consommateurs, dit-elle. Ils entretiennent une relation complexe et fascinante avec les entreprises nord-américaines, qui auront besoin de capitaux et de travailleurs qualifiés qui pourront innover et concurrencer la Chine et l'Inde.»

Comme tout le monde, l'ancienne PDG et présidente du conseil d'administration de HP a vu la société informatique s'enliser dans une affaire d'espionnage après son départ. HP voulait alors mettre fin aux fuites des délibérations de son conseil dans les médias.

La société en est arrivée à un accord avec la justice: elle versera 14,5 millions US à un fonds de protection de la vie privée. Mais le successeur de Carly Fiorina à la présidence du conseil d'administration, Patricia Dunn, fait toujours face à la justice. Mme Dunn, qui a démissionné de son poste au conseil, est accusée d'avoir ordonné des enquêtes illégales sur certains membres du conseil.

«À l'époque où j'étais chez HP, nous savions qui était à l'origine des fuites des délibérations de notre conseil, dit Mme Fiorina. Tom Perkins et Jay Keyworth (deux membres du conseil) voulaient nous mettre de la pression et influencer nos décisions. Ce n'était pas acceptable. Si les membres du conseil n'ont pas confiance l'un en l'autre, il ne peut y avoir de véritables délibérations lors des réunions. Mon objectif n'était pas de savoir qui était à l'origine des fuites - je le savais de toute façon - mais de trouver une solution et de mettre fin aux fuites.»

«Après mon départ, certaines personnes ont oublié de mettre les choses en perspective, déplore-t-elle. Plusieurs personnes ont eu des comportements destructifs, contraires à l'éthique et égoïstes qui ont causé du tort à HP. Malheureusement, je n'ai pas été surprise de la tournure des événements.»

Une francophile...Carly Fiorina s'excuse. Jadis, elle parlait très bien français, une langue qu'elle a appris à l'école secondaire puis à l'université, durant ses études en philosophie.

«Mais c'était il y a 30 ans, dit-elle. Je ne le parle plus mais je lis encore le journal Le Figaro à l'occasion.»

Durant son adolescence à Durham, en Caroline du Nord, elle est tombée sous le charme de l'auteur français Albert Camus.

«J'ai découvert le roman L'Étranger à une étape cruciale de ma vie, se rappelle-t-elle. Ce fut une révélation et une leçon de vie sur les conséquences de nos choix. Nous ne pouvons pas toujours choisir les circonstances et les événements de notre vie, mais nous pouvons toujours choisir comment y faire face.»

Au nombre de ses lectures préférées dans la langue de Molière: Antoine de Saint-Exupéry, Jean-Paul Sartre et Voltaire. «J'ai toujours eu un faible pour la philosophie française, dit-elle. Et comme tout le monde, j'ai lu Le Petit Prince!»