Selon Henry Mintzberg (www.henrymintzberg.com), les employés déplorent avec raison la micro gestion des patrons qui contrôlent les moindres détails de leur travail.

Selon Henry Mintzberg (www.henrymintzberg.com), les employés déplorent avec raison la micro gestion des patrons qui contrôlent les moindres détails de leur travail.

Mais le penseur montréalais redoute encore plus les ravages de la macro gestion.

«Quand on est PDG ou membre de la haute direction, il est essentiel d'aller voir ce qui se passe sur le terrain, auprès des clients et des travailleurs. Sans connaissance viscérale de l'organisation, il est impossible de construire une véritable stratégie», dit-il.

Q: Les critiques de la micro gestion sont-elles justifiées?

Réponse: Tout à fait. Cette manie de réviser chaque décision tue l'initiative. Mais je crains encore plus la macro gestion. C'est un problème énorme de plus en plus courant.

Trop de dirigeants en sont venus à perdre de vue l'importance de leur engagement dans les projets et les opérations ainsi qu'auprès des travailleurs.

Ils ont remplacé l'hyper contrôle par le contrôle à distance.

Ces «leaders», du haut de leur piédestal, accouchent de visions enfantées par l'Immaculée Conception. Ils énoncent de grandes stratégies et formulent des objectifs de performance abstraits que tous les autres membres doivent s'empresser de mettre en oeuvre.

J'appelle ça le management by deeming; la gestion par proclamation. Ce style de gestion conduit à prendre des décisions parce qu'on a le pouvoir de les prendre, sans même se faire un devoir de les justifier.

Les détenteurs de MBA dirigent souvent comme ça. Ils croient que leur diplôme leur permet de gérer absolument tout, qu'importe le domaine, la taille de l'entreprise et ses activités. «They can manage everything but they just can't manage anything.»

La progression de la macro gestion est en lien direct avec leur présence massive à la tête des entreprises. Aux États-Unis, les écoles décernent un million de MBA par décennie et un détenteur de ce diplôme dirige le pays. Chez George W. Bush - Harvard 1975 - , un triste exemple de management by deeming est la guerre en Irak.

Q: Revenons aux entreprises. Comment se traduit la macro gestion?

Réponse: Certains PDG, par exemple, décrètent que les ventes devront augmenter de 10%, sans même savoir et comprendre ce qui se passe dans leurs magasins.

Et quand les résultats boursiers sont inférieurs aux attentes des actionnaires, avez-vous entendu un seul PDG avouer qu'il n'a pas de stratégie, qu'il ne sait pas comment vendre?

Non. On vire des gens.

C'est l'équivalent de la saignée au Moyen-Âge. Peu importe la maladie, les médecins vidaient les gens de leur sang. Les macro gestionnaires utilisent les coupes de personnel pour toutes les maladies organisationnelles.

C'est particulièrement flagrant dans les entreprises de télécommunications. Elles n'ont aucune idée originale pour se distinguer les unes des autres et elles serrent la vis.

Il est grand temps qu'on cesse ces saignées et qu'on demande, comme nos ancêtres: «Docteur, vous n'avez pas une autre solution?» Il existe d'autres traitements pour les entreprises aussi.

Pensons à IKEA et à Costco. Ces entreprises ne pratiquent pas la saignée. Elles ont de bons produits. Elles ont des clients. Elles ont des stratégies intéressantes.

Q: Mais la macro gestion n'est-elle pas inévitable dans les grandes entreprises?

Réponse: La macro gestion est plus courante dans ces entreprises parce que c'est plus facile pour les PDG de cacher leur manque de connaissances et de compréhension de ce qui se passe derrière les autres niveaux.

Il est de plus normal que le degré d'abstraction soit plus élevé lorsqu'on monte dans la hiérarchie. Mais quand on est PDG ou membre de la haute direction, il est essentiel d'aller voir, sur le terrain, et de rencontrer des clients, des ouvriers ou des employés en contact direct avec les citoyens.

Pour éviter les ravages de la macro gestion, il faut reconnaître aussi le rôle clé des personnes qui, dans les organisations, connaissent bien les activités et ont l'oreille de la haute direction. Elles peuvent «chuchoter à l'oreille des dieux» ce qu'elles voient, entendent, sentent et touchent sur le terrain.

Konosuka Matsushita, le fondateur de Panasonic, disait «Ce qui me préoccupe, ce sont les grandes et les petites choses. Entre les deux, je délègue».

Il y en a d'autres qui pensent comme ça. En 1999, j'ai observé pendant une journée John Cleghorn, PDG de la Banque Royale, à l'occasion d'un de ses passages à Montréal. C'était avant que je devienne titulaire de la chaire qui porte son nom.

Il a visité deux succursales et rencontré des investisseurs institutionnels et des directeurs régionaux. Son style était plutôt inhabituel pour un PDG d'entreprise de plus de 50 000 employés.

Il était très préoccupé par le détail des opérations et il avait institué une règle voulant que tous les cadres de direction passent au moins 25% de leur temps avec les clients et les employés de première ligne.

Ce jour-là, il a suggéré un changement d'affiche dans une succursale. Dans l'autre, il a salué par son prénom une caissière ayant plusieurs années de service.

Pendant ses rencontres, il a posé des questions mais il a également rappelé les objectifs de la banque et ses valeurs.

Pour élaborer ses stratégies, il s'inspirait des initiatives locales pour les intégrer à une vision générale. Cette approche requiert une connaissance détaillée et nuancée de l'organisation.

Une telle connaissance ne fait pas de tout individu un stratège. La stratégie dépend aussi de la capacité à effectuer des synthèses créatives, de passer du conceptuel au concret et vice versa. Mais ce style de gestion m'apparaît comme un préalable pour développer une stratégie. Les macro gestionnaires n'ont pas cette capacité.

Q: Est-il possible d'être mêlé à l'action sans faire de la micro gestion?

Réponse: Il faut d'abord cesser de confondre la micro gestion avec l'engagement.

J'ai vu un bel exemple de cette différence lors d'une visite chez Fujitsu, au Japon, en compagnie de participants au programme International Master Program in Practicing Management. Cette formation réunit des cadres de grandes entreprises originaires de plusieurs pays.

Un participant employé de Fujitsu était notre guide. En entrant sur son lieu de travail, nous avons constaté qu'il n'y avait aucun séparateur entre son bureau et ceux de sa vingtaine de collègues. Quelques gestionnaires de l'Ouest étaient étonnés.

Notre hôte a désigné un homme debout conversant avec un travailleur. «C'est mon patron. Il occupe un de ces bureaux», a-t-il précisé. Une participante, cadre dans une grande banque canadienne, était estomaquée.

«Comment faites-vous pour travailler avec un patron qui regarde par-dessus votre épaule? Qui voit tout et entend tout?» a-t-elle demandé.

«Quel est le problème? Il travaille avec nous», a répliqué notre hôte.

Il venait de démontrer qu'un manager peut être mêlé à l'action sans être intrusif.