Quand la consultation et la formation des utilisateurs sont oubliées dans les transformations technologiques, les conséquences sur la santé mentale et physique peuvent être dévastatrices.

Quand la consultation et la formation des utilisateurs sont oubliées dans les transformations technologiques, les conséquences sur la santé mentale et physique peuvent être dévastatrices.

"Les gens se plaignaient d'avoir mal au dos. Nous avons changé toutes les chaises et les plaintes ont augmenté. Pouvez-vous nous aider ? "

Pierre-Yves Therriault, président de la firme Les Ergonomes associés du Québec et professeur au programme d'ergothérapie de l'Université de Montréal, n'a pas mis beaucoup de temps à trouver la cause de ce SOS. "Les chaises étaient de très bonne qualité mais elles étaient très compliquées à manipuler. Personne n'avait réussi à les ajuster pour trouver sa zone de confort ", raconte-t-il.

L'anecdote résume bien un des problèmes majeurs vécus par les travailleurs lors de l'arrivée de nouvelles technologies ou de changements de leurs outils de travail. Ces nouveautés, qui devaient améliorer leur sort, empoisonnent plutôt leur travail et leur santé physique ou mentale. " Les doléances sont particulièrement grandes au moment du changement. Puis, les choses semblent se tasser mais malgré les apparences, des séquelles demeurent ", affirme M. Therriault.

Les grands oubliés

Dans l'histoire des chaises, l'entreprise avait oublié que les travailleurs avaient besoin de formation pour les ajuster.

C'est souvent le cas.

" La plupart des entreprises misent plutôt sur les capacités d'adaptation des travailleurs et sur leur habileté à transposer leurs connaissances pour utiliser les nouveaux outils ", dit M. Therriault.

" Les travailleurs essaient de les apprivoiser et ils y parviennent, jusqu'à un certain point. Comme ils ne les maîtrisent pas vraiment, ils deviennent vulnérables, stressés et perdent leur estime de soi ", poursuit-il.

La consultation des utilisateurs est l'autre grand oublié des changements technologiques.

"Si les changements étaient introduits dans les règles de l'art, il y aurait d'abord analyse des besoins, consultation des utilisateurs, choix des nouveaux équipements, formation et implantation. Dans la réalité, on assiste souvent à des implantations brutales de changements décidés en vase clos ", explique M. Therriault.

Camille Legendre, professeur de sociologie à l'Université de Montréal, est d'accord. Avec Denis Harrisson, professeur à l'Université du Québec à Montréal, il mène des études sur les impacts des changements technologiques sur la santé et la sécurité.

Les deux chercheurs ont observé les effets pervers d'un changement technologique décidé en vase clos dans une entreprise manufacturière québécoise.

Les nouvelles machines, très performantes en théorie, avaient été choisies par un comité formé uniquement d'ingénieurs. Ces machines étaient conçues pour être utilisées par un homme moyen mesurant cinq pieds et neuf pouces.

Or, des femmes et des asiatiques formaient un pourcentage important de la main-d'oeuvre. Résultat : il a fallu bricoler des aménagements insatisfaisants et même dangereux pour la santé et la sécurité.

Intégrer les enjeux

" Toutes les équipes responsables de la gestion des changements technologiques devraient inclure des gens dont le mandat est d'intégrer les enjeux de santé et de sécurité ", dit M. Legendre.

Ce sociologue insiste également sur l'importance d'inclure des cours en santé et sécurité dans les programmes de formation professionnelle et technique.

Version 46.0

" Dans le secteur de la santé, des infirmières consacrent maintenant la moitié de leur temps à entrer des données dans les grands systèmes de gestion informatique à la mode depuis quelques années, plutôt qu'à soigner les patients ", dit M. Legendre.

Dans ce cas, il y a eu formation. Le hic, c'est que les cours se sont déroulés pendant les pauses et aux heures de repas. " Ces formations ont été très rapides et elles ont créé beaucoup d'anxiété sur un personnel déjà surchargé ", déplore M. Legendre.

L'ergonome Pierre-Yves Therriault ajoute : " En informatique, les travailleurs deviennent au service de la technologie et non l'inverse. Dans plusieurs cas, c'est même la puissance de leurs outils informatiques qui indiquent leur statut dans l'entreprise ", dit-il.

À peine un logiciel est-il maîtrisé qu'une nouvelle version apparaît. " Les travailleurs en viennent à se sentir toujours incompétents. Ils sont toujours perdants, aux prises avec une technologie qui ne peut pas se tromper et qui incapable de corriger ses erreurs... ", dit-il.

Le message de Pierre-Yves Therriault en direction des organisations est simple : " Il faut intégrer les travailleurs au processus de transformation et leur laisser un droit de regard dans le choix de leurs outils plutôt que d'écouter des vendeurs ", dit-il.

Son expérience lui permet même d'affirmer qu'une telle approche pourrait générer de vraies économies. " Lorsque je suis invité à régler des problèmes dans les espaces à bureaux, il m'arrive régulièrement d'enlever des choses, rarement d'en ajouter ", dit-il.