Un quart de siècle après avoir coécrit le best-seller Getting to yes, sur l'art de réussir une négociation, le médiateur américain William Ury vient de publier The Power of a positive no, sur l'art de dire non. Dans ce livre, ce spécialiste des conflits corporatifs et politiques s'attarde à l'importance des refus. LaPresseAffaires.com s'est entretenue avec lui.

Un quart de siècle après avoir coécrit le best-seller Getting to yes, sur l'art de réussir une négociation, le médiateur américain William Ury vient de publier The Power of a positive no, sur l'art de dire non. Dans ce livre, ce spécialiste des conflits corporatifs et politiques s'attarde à l'importance des refus. LaPresseAffaires.com s'est entretenue avec lui.

Question: Pourquoi un livre sur le non, 25 ans après un livre sur le oui?

Réponse : J'ai déjeuné avec Warren Buffett au début des années 1980, peu après la sortie de Getting to yes, et il m'a dit qu'il ne comprenait pas très bien l'esprit de mon livre. Pour lui, le plus important était de savoir dire non.

Il m'a confié que la clé de son succès en affaires avait été de refuser de nombreuses propositions, pour rester libre jusqu'au jour où il recevait exactement celle qu'il recherchait. Pour chaque «oui» qu'il disait, il y avait de nombreux «non».

Q: Vous soutenez que le plus gros défi à notre époque est de dire non. Pourquoi est-ce particulièrement difficile aujourd'hui?

R: Avec les progrès technologiques, on est submergés d'informations, d'offres et de choix à faire. Nous avons de plus en plus de décisions à prendre et de moins de moins de temps pour les prendre. Et puis, nous vivons dans un monde où les frontières s'estompent.

Celles entre la maison et le travail disparaissent avec l'avènement du courriel et du cellulaire. Et la tentation d'abaisser les standards éthiques est forte dans le monde des affaires. Partout, les gens trouvent difficile de dresser et de maintenir des balises.

Q: Vous soutenez qu'en un sens, l'art de dire non vient avant celui de dire oui. Pourquoi?

R: Les deux sont d'égale importance et le non est un prérequis pour un oui véritable. On ne peut pas dire vraiment oui à un appel si on ne dit pas non aux autres. Les deux réponses sont comme la main gauche et la main droite.

Q: En quoi votre livre s'adresse-t-il au monde des affaires?

R: Réussir en affaires est une question de discipline et de stratégie. Or, la clé d'une bonne stratégie, ce n'est pas tant de bien définir ce qu'on est que d'établir ce qu'on n'est pas.

Un exemple éloquent est celui de l'américaine Southwest Airlines, modèle des sociétés aériennes à bas prix dans le monde. Pour dire oui à la rentabilité, elle a dû refuser d'offrir des repas chauds, des sièges réservés et le transfert des bagages d'un avion à l'autre.

Ça lui a permis de développer les qualités les plus appréciées de ses clients: des tarifs abordables et un roulement très rapide dans les aéroports, donc des vols fréquents.

Q: Avez-vous aussi des exemples d'échecs causés par l'incapacité de dire non?

R : Enron en est un... Le non est aussi un mot clé de l'éthique, et c'est celui que les dirigeants de cette entreprise n'ont pas su dire aux pratiques frauduleuses.

Q: Pour arriver à dire non, les gens d'affaires font-ils face à des difficultés particulières?

R: Nous vivons dans un monde où l'accent est mis sur le oui, sur les ententes. La mondialisation joue sans doute un rôle là-dedans: les affaires, aujourd'hui, reposent énormément sur les relations.

Par exemple, un transporteur aérien n'offre plus seulement des vols, mais aussi des programmes de récompenses pour voyageurs fréquents, ce qui implique des contrats avec d'autres compagnies.

Q: Dans ce contexte, comment dire non sans s'isoler et se nuire?

R: De façon générale, la difficulté des refus tient à la tension entre l'exercice de notre pouvoir et le maintien de nos relations. Mon livre porte sur la force de ce que j'appelle un «non positif», qui n'aura pas pour effet l'isolation et qui mènera éventuellement à un oui. Il est important d'identifier le «oui» présent derrière chacun de nos «non», c'est-à-dire les valeurs ou les priorités qu'on veut protéger.

Je recommande aussi d'offrir à l'interlocuteur une alternative, d'établir un plan B au cas où cette dernière ne serait pas acceptée, et enfin de persévérer malgré les remous. Car il est normal que l'autre réagisse émotionnellement à un refus.

Q: Les défis des compagnies privées et publiques sont-ils différents?

R: Les gens d'affaires me confient qu'il est encore plus difficile de dire non à des gens à l'intérieur de leur compagnie qu'à des clients. Comme les entreprises privées sont souvent familiales, je crois qu'elles présentent le contexte le plus dur. Les liens sentimentaux et la dynamique de l'entreprise y sont enchevêtrées. Dire non à son père, par exemple, ça ne va pas de soi.

Q: Vous décrivez trois réactions communes à la peur de dire non: accommoder l'interlocuteur, l'attaquer ou le fuir. On voit cela en affaires?

R: Ces trois approches ne sont pas séparées. La plupart du temps, on les retrouve mêlées dans un même comportement. C'est ce qui a mené à la crise chez Royal Dutch Shell, en avril 2004, quand on a découvert que la compagnie avait surévalué ses réserves de pétrole.

Le chef de l'exploration avait tenté de sonner l'alarme mais, sous la pression du président du conseil, il s'est montré accommodant en public pendant qu'il réprimait sa colère en privé.

Quand, au bout d'un an de tensions, le président du conseil a fait une évaluation négative du travail du chef de l'exploration, celui-ci a contre-attaqué avec un courriel virulent où il se disait écoeuré de mentir sur l'état des réserves.

Le courriel est en suite tombé en des mains externes. L'évitement, dans quelque domaine que ce soit, est toujours destructeur. Comme Martin Luther King l'a dit un jour : «Nos vies commencent à finir le jour où nous faisons silence sur les choses qui importent.»