Les Québécois sont contre les baisses d'impôts, a-t-on appris lors du débat de la semaine dernière sur le budget de la ministre Monique Jérôme-Forget. Faut-il s'en étonner?

Les Québécois sont contre les baisses d'impôts, a-t-on appris lors du débat de la semaine dernière sur le budget de la ministre Monique Jérôme-Forget. Faut-il s'en étonner?

Non, parce que presque la moitié des contribuables ne paient pas d'impôt et que leur nombre est en augmentation.

Ce sont les plus récentes statistiques du ministère des Finances qui l'attestent: 2,3 millions de contribuables sur un total de 5,7 millions n'ont pas payé d'impôt en 2003, soit 40,1%.

Depuis 1980, leur nombre a augmenté en moyenne de 4,7% par année, quatre fois plus vite que le nombre de contribuables qui paient de l'impôt, qui a augmenté de 1,1% en moyenne pendant la même période.

C'est dangereux, estime Rodrigue Tremblay, professeur émérite de l'Université de Montréal et ancien ministre du Développement économique dans le gouvernement de René Lévesque, qui estime qu'il y a un risque que l'économie du Québec se tiers-mondialise,

«Ça crée un bloc qui est réfractaire à toute baisse d'impôt, et un déséquilibre dans l'économie», explique-t-il. C'est un modèle répandu dans les pays du Tiers-Monde, où 90% des gens sont pauvres et 10% sont riches.

«On l'a vu la semaine dernière, on parle d'une légère baisse d'impôt comme si c'était un crime»

Le poids politique croissant de ceux qui ne paient pas d'impôt a pour effet d'accroître le fardeau fiscal de la classe moyenne, parce qu'il y a très peu de contribuables riches.

«C'est seulement la classe moyenne qui paie parce que les riches s'en vont en Ontario ou ailleurs, là où ils paient moins d'impôt.»

Les statistiques du ministère des Finances indiquent que seulement 133 603 Québécois avaient un revenu supérieur à 100 000$ en 2003, soit à peine 2,3% de tous les contribuables.

Rodrigue Tremblay croit que le Québec n'a pas le choix et qu'il doit baisser ses impôts pour des raisons de compétitivité avec les autres provinces canadienne.

«Même Pauline Marois le dit, il faut créer de la richesse avant de pouvoir la redistribuer», dit-il. Les baisses d'impôts ne peuvent qu'être limitées, toutefois, parce qu'il faut continuer à financer nos programmes sociaux, reconnaît l'économiste, qui qualifie celles du dernier budget de «légères».

Quant à la dette, elle ne constitue pas un si gros problème, selon lui. «Il y a une hystérie de la dette publique tout à fait injustifiée. Les taux d'intérêt sont bas, et cette dette, on se la doit à nous principalement, à la Caisse de dépôt et aux autres détenteurs d'obligations», explique-t-il.

Comparativement, les États-Unis sont dans une situation bien pire que celle du Québec, selon lui, parce que c'est aux Chinois, aux Japonais et autres étrangers qu'ils paient de l'intérêt sur leur dette publique.

Le Québec a un régime fiscal progressif, c'est-à-dire que les taux d'imposition augmentent avec les revenus. Par exemple, les contribuables qui gagnent entre 50 000$ et 99 000$ représentent 30% de l'ensemble des revenus des contribuables mais ils paient 40% de tous les impôts.

Ce n'est pas la progressivité du régime fiscal, qui est en cause, souligne Rodrigue Tremblay, mais les crédits d'impôt qui se sont multipliés avec les années.

Le Québec n'est pas la seule province à avoir vu augmenter le nombre de contribuables qui ne paient pas d'impôt. Trois provinces en ont encore plus, soit l'Alberta (42,6%), l'Ontario (41,3%) et le Nouveau-Brunswick (40,8%). Du côté fédéral, toutefois, seulement 30% des contribuables ne paient pas d'impôt à Ottawa.

Les chiffres du ministère des Finances indiquent aussi qu'il y a 1% des contribuables dont les revenus sont supérieurs à 100 000$ qui réussissent à ne pas payer d'impôt, en utilisant probablement des crédits d'impôt à l'investissement et d'autres mesures du genre.

Mais la très grande majorité de ceux qui ne paient pas d'impôt ont un revenu inférieur à 30 000$, soit des travailleurs au salaire minimum et des familles.

Au Québec, un travailleur peut gagner jusqu'à 12 160$ avant de commencer à payer de l'impôt, rappelle le fiscaliste Stéphane Leblanc, de Ernst & Young.

Ce qui ne veut pas dire que le chèque de paie reste intact: il est amputé des déductions de la Régie des rentes, de l'assurance emploi et autres, qu'on assimile souvent à de l'impôt mais qui n'en est pas, souligne-t-il.