La crise immobilière américaine a un visage. Ou plutôt cinq: ceux des quatre enfants et de la femme de Michael Morgan.

La crise immobilière américaine a un visage. Ou plutôt cinq: ceux des quatre enfants et de la femme de Michael Morgan.

L'été dernier, incapable de payer son hypothèque de 4000$ par mois, l'entrepreneur a mis en vente son imposante maison de Boca Raton, à une heure de Miami. Il a mandaté une agence spécialisée pour vendre sa résidence sur l'internet, sans pancarte. Une façon de faire discrète, qui lui permet -pour l'instant- de cacher l'inévitable aux cinq membres de sa famille.

"Ma famille n'a pas besoin de savoir, je leur dirai quand ce sera fait", dit M. Morgan, qui nous rencontre dans le petit parc en face de chez lui, à l'abri des oreilles indiscrètes.

Le jeune père de famille sait que ses enfants seront déçus. Il avait choisi la maison de 550 000$ pour eux. Pour qu'ils profitent de la grande cour verdoyante, de la piscine et des nombreux parcs et équipements sportifs du quartier.

Michael Morgan le reconnaît: il a acheté au pire moment. En plein sommet du boom immobilier, il y a un an et demi. Il était tellement confiant qu'il n'a pas attendu avant de déménager de vendre son ancienne propriété, plus petite et plus vieille. Ce qu'il n'a pas réussi à faire.

L'homme jongle depuis avec deux hypothèques qu'il ne parvient plus à payer. Une situation insoutenable, qui a terni sa cote de crédit et fait grimper son taux d'intérêt variable à plus de 8%.

Le cas des Morgan est loin d'être unique. Aux États-Unis, plus d'un million de personnes ont déjà perdu ou sont en voie de perdre leur maison, selon les données compilées par l'agence immobilière RealtyTrac. Seulement au mois d'août dernier, 243 947 avis de saisie d'un bien hypothéqué (foreclosure) ont été émis à l'échelle du pays. Un bond de 36% par rapport à juillet et de 115% par rapport à août 2006!

Un paradis devenu infernal

Le sud de la Floride est l'une des régions les plus durement touchées par la crise actuelle. Il suffit de se promener quelques minutes en voiture pour constater l'ampleur du problème.

Dans certaines rues de Miami, le quart des maisons sont en vente. Des dizaines de tours d'appartements en copropriété, mises en chantier il y a deux ou trois ans, sont en train d'être terminées un peu partout dans la ville. Mais les occupants se font souvent attendre.

Jusqu'au début de 2006, le sud de la Floride, comme plusieurs autres régions ensoleillées du sud des États-Unis -l'Arizona, le Nevada, la Californie- a constitué un véritable paradis pour les investisseurs, petits et gros. Ils ont été très nombreux à acheter des maisons et appartements en prévente, souvent à crédit, dans le but de les revendre à court terme avec un fort profit.

Les gens faisaient la queue pour mettre la main sur le plus d'unités possibles. Au Midtown, immense complexe commercial et résidentiel situé à quelques rues du très branché Design District, au centre de Miami, les ventes étaient frénétiques, rappelle le représentant Franz Klainsek.

"Au début du projet, on était dans un marché comme on n'en avait jamais vu auparavant, c'était comme à l'époque des dotcoms, dit le jeune homme. Tout le monde voulait acheter en prévente, il y avait beaucoup d'investisseurs. On a vendu la première tour en une seule journée!"

Maintenant que les premiers résidants commencent tranquillement à s'installer dans le Midtown, Franz Klainsek craint de voir des gens retirer leurs billes avant la clôture de la transaction. "Je dirais que c'est la plus grande inquiétude."

Dans la plupart des tours qui finissent ces jours-ci d'être construites, les acheteurs sont nombreux à déchirer leur promesse d'achat. Ils préfèrent perdre leur dépôt initial que de rester pris avec un appartement qui vaut souvent moins cher que le prix payé il y a deux ou trois ans en prévente.

"J'en ai qui ont laissé tomber 250 000$ de dépôt", dit Lauris Boulanger, promoteur québécois qui a lancé de nombreux projets immobiliers en Floride depuis 20 ans.

La tendance prend tellement d'importance que des avocats offrent désormais leurs services dans les journaux pour aider les gens à sortir de leurs contrats sans perdre leur mise de fonds.

Certains promoteurs, plus créatifs -ou désespérés- que d'autres, ont commencé à tenir des encans pour vendre les unités inhabitées de leurs tours flambant neuves. Les offres atteignent parfois des prix très bas. Cela enrage les acheteurs qui, eux, ont payé le plein prix il y a deux ou trois ans en prévente. Des menaces de poursuites sont dans l'air.

La quantité de propriétés disponibles est énorme dans toutes les gammes, ce qui contribue à la dépréciation des prix. Les vendeurs, inflexibles il n'y a pas si longtemps, se résignent à réduire leurs attentes.

"Depuis trois ou quatre mois, les gens entendent les nouvelles, ils deviennent plus logiques, ils se ressaisissent et acceptent de négocier", observe Pauline Grenier-Carrier, courtière chez Coldwell Banker, rencontrée dans la chic banlieue d'Aventura.

La femme a récemment vendu pour 3 millions de dollars un condo évalué à 4 millions.