Vous vous rappelez certainement cette entrevue. C'était au Téléjournal avec Bernard Derome. André Caillé, alors président et chef de la direction d'Hydro-Québec, avait des explications à donner à la suite du reportage du journaliste Christian Latreille. Le reporter avait démontré l'absence de sécurité aux installations d'Hydro, en circulant librement à l'intérieur d'une importante centrale.

Vous vous rappelez certainement cette entrevue. C'était au Téléjournal avec Bernard Derome. André Caillé, alors président et chef de la direction d'Hydro-Québec, avait des explications à donner à la suite du reportage du journaliste Christian Latreille. Le reporter avait démontré l'absence de sécurité aux installations d'Hydro, en circulant librement à l'intérieur d'une importante centrale.

André Caillé, visiblement irrité, avait alors parlé de curieuse coïncidence, insinuant que le reporter était de connivence avec des syndiqués. "Je ne me suis pas échappé. J'avais décidé que je les mettrais à leur place. Je trouvais que c'était la responsabilité du président d'Hydro de défendre l'ensemble de ses employés et de dire qu'ils font bien leur travail."

Plusieurs ont dit par la suite qu'André Caillé avait pété les plombs. Lui-même reconnaît aujourd'hui que cette entrevue lui a, en partie, coûté son poste. "Je me suis fâché. Ce soir-là, j'avais décidé enough is enough, j'en ai assez. Je bouillais en arrivant à Radio-Canada."

C'était en février 2005. Près de deux ans plus tard, dans la première entrevue qu'il accorde à un média depuis qu'il a quitté la présidence du conseil d'Hydro-Québec, André Caillé insiste pour dire que c'est lui qui a pris la décision de s'en aller. Québec ne lui a pas montré la sortie. "Après neuf ans à la tête d'Hydro, je sentais qu'il était temps de partir."

Son retour à l'avant-scène de l'actualité coïncide avec le lancement, cette semaine, du livre L'énergie sans frontière, qui présente des extraits d'entretiens avec lui.

Le prix véritable

Si André Caillé a quitté son poste de lui-même, il n'en demeure pas moins qu'il avait mis le gouvernement Charest dans l'embarras. Outre l'entrevue mémorable accordée au Téléjournal, il avait fait une déclaration plutôt fracassante en affirmant que les tarifs d'électricité devaient refléter leur valeur au marché. Le président d'Hydro avait alors réclamé l'abolition du décret en vertu duquel les Québécois paient leur électricité bien en deçà de son prix véritable. "Le rôle du président d'Hydro-Québec est de dire les choses comme elles sont. J'avais l'impression d'aider le gouvernement en envoyant cette secousse, parce qu'un politicien ne peut pas dire une chose pareille, il se ferait crucifier. Je faisais ma job."

André Caillé croit toujours qu'il est essentiel de libérer les prix du bloc patrimonial - reconnu comme un héritage pour les Québécois, un bloc de 16 5TWh vendu à 2,79 cents le kilowattheure. En agissant de la sorte, le Québec aurait accès à une source de richesse incroyable.

Ses propos sont toutefois plus nuancés qu'à l'époque, il parle aujourd'hui d'une période de transition nécessaire. Une transition qui aurait dû être inscrite dans la loi 116, qui scindait Hydro-Québec en trois entités distinctes. "Il aurait fallu dire: d'accord, vous gardez le bloc que vous aviez et on vous le vend au coût de production. Cet avantage va cependant disparaître graduellement. Mais là, pour changer la loi, il faudrait retourner à l'Assemblée nationale. Ça va être un méchant débat. C'est sûr que l'opposition va être contre.".

Gel des tarifs

Cet homme qui milite pour une libération complète des tarifs d'électricité doit vivre avec un paradoxe qui l'agace: c'est sous son règne qu'a été décrété un gel. Il reconnaît d'emblée que c'est lui qui, en 1998, a suggéré au gouvernement de ne pas demander de hausse de tarif.

André Caillé explique que la Régie de l'énergie venait d'être mise en place et il estimait que son entreprise n'avait pas les arguments qu'il fallait pour étayer une demande de hausse tarifaire devant cette instance. "Nous n'étions pas prêts. Le gouvernement a décidé d'appeler ça un gel. C'était une erreur. Dire qu'on n'est pas prêt signifie qu'on le sera un jour. Dire qu'on gèle les tarifs entraîne qu'on devra les dégeler. C'est beaucoup plus difficile. Au bout de deux ans, on était prêt."

De 1998 à 2004, les tarifs d'Hydro-Québec ne bougeront pas. Le gel durera cinq ans. André Caillé ne l'a toujours pas digéré.

Une ressource à exporter

À l'heure de la déréglementation des marchés, l'ex-dirigeant d'Hydro ne comprend pas pourquoi le Québec ne profite pas davantage des marchés d'exportation. "C'est une ressource renouvelable. C'est une énergie propre. Quand on l'exporte, notre électricité remplace celle produite dans les centrales thermiques au charbon et au gaz naturel chez nos voisins. D'un point de vue environnemental, c'est extrêmement avantageux. En plus, ça crée de la richesse."

Actuellement président du Conseil mondial de l'énergie, André Caillé parcourt la planète. Le recul que lui procure cette fonction ne fait que renforcer chez lui des convictions profondes. "Vu de l'extérieur, on s'aperçoit à quel point on est chanceux au Québec. Cette chance s'appelle l'hydraulique".

Un chèque au consommateur

Quand il brosse le bilan de son passage chez Hydro, André Caillé affirme que l'assainissement de la situation financière de la société d'État est la réalisation dont il est le plus fier. "Hydro-Québec est notre vaisseau amiral. Et un vaisseau amiral doit être impeccable."

Il s'explique mal pourquoi les gens ne se réjouissent pas du fait qu'Hydro-Québec engrange aujourd'hui d'importants profits. Pourtant, dit-il, c'est de l'argent qui leur appartient, qui revient dans les coffres de l'État. "Ça change la vie de beaucoup de monde ces profits-là et pas les plus riches. Ça va dans les programmes sociaux. Quand on parle de 2,5 milliards de profits, c'est significatif dans la vie des gens."

André Caillé en arrive aujourd'hui à la conclusion suivante : si les gens ne veulent pas qu'Hydro fasse de profits, c'est parce qu'ils n'ont plus confiance dans leur gouvernement. "C'est grave, ça. Quand on verse au gouvernement, on verse à nous-mêmes. Les gens ne le croient plus. Cette perte de confiance dans le gouvernement se traduit par une critique d'Hydro-Québec. "

Devant ce constat, André Caillé se demande s'il ne serait pas mieux de verser directement un chèque de dividende aux citoyens. Si les gens avaient directement accès aux profits d'Hydro, croit-il, peut-être accepteraient-ils mieux ses profits, ses projets de développement et son désir d'exportation.

"Je m'interroge sérieusement. Le versement d'un chèque de dividende est peut-être la meilleure façon de rétablir le lien entre Hydro-Québec et les citoyens."

À propos...DE LA LIGNE HERTEL-DES CANTONS

On reproche souvent à la société d'État son arrogance et son manque de transparence. André Caillé se désole du fait qu'après avoir été un objet de fierté, Hydro-Québec soit aujourd'hui devenue un objet de méfiance. Il reconnaît cependant qu'Hydro est en partie responsable de son sort. " Oui, il y a des fois où on a dit : ça, on aime autant ne pas en parler. Donc, ce n'était pas la transparence totale. "

Et l'arrogance? André Caillé ne se considère pas comme arrogant. Il admet du bout des lèvres que, parfois, des gens sur le terrain ont peut-être fait un peu trop sentir qu'ils détenaient le pouvoir.

Il acquiesce quand on lui demande si la ligne de transport d'électricité Hertel-Des Cantons fait partie de ce qui a fait mal à Hydro. " Oui, ça a fait mal et ça va continuer à faire mal à Hydro parce que ça va être cité en exemple. "

La construction de la ligne Hertel-Des Cantons, en court-circuitant les processus d'approbation réguliers, a effectivement laissé un goût amer, surtout chez les citoyens expropriés. D'autant que cette ligne, dont on avait un besoin " urgent" en 1998, n'est entrée en fonction qu'en décembre 2003.

Malgré l'énorme controverse qui a entouré cette construction, André Caillé est catégorique : " Si on avait eu Hertel-Des Cantons pendant le verglas, ça aurait été moins pénible à Montréal. La ville n'aurait pas fermé. Le centre-ville serait resté ouvert. Le même verglas avec Hertel-Des Cantons et le centre-ville reste ouvert. "

L'homme raconte que l'an dernier, lors d'une panne, un cadre d'Hydro l'a appelé. " Tu vas être content d'apprendre que si on n'avait pas eu Hertel-Des Cantons, on n'aurait pas eu d'électricité au centre-ville. "

Ce dirigeant n'en a pas fait une annonce publique. Quand André Caillé lui a demandé pourquoi il ne l'avait pas dit publiquement, l'autre s'est contenté d'un bof. " Dans ce bof-là, il y avait du : ils n'ont pas besoin de savoir et de toute façon, ça ne changerait rien et on accepte l'état de la situation. Moi, je l'aurais dit. "

Des bas tarifs pour les alumineries

André Caillé a également abordé la question de l'électricité comme levier économique. À l'époque de Robert Bourassa, explique-t-il, l'idée consistait à attirer des entreprises qui créent de l'emploi et qui génèrent des retombées économiques en leur offrant de l'électricité à un prix qui permet de récupérer au moins les coûts de production. "C'était une bonne idée à l'époque, mais aujourd'hui, avec l'ouverture des marchés, cette logique ne tient plus."

Selon, M. Caillé, vendre de l'aluminium sur le marché mondial, c'est exporter notre électricité à 3 cents le kilowattheure -un coût très bas- sous forme de lingot d'aluminium. " Pourquoi laisser notre électricité aux alumineries quand on peut l'exporter pour beaucoup plus cher? On est à côté du marché de New York, le plus gros et celui qui paye le plus. On se prive d'une source de richesse incroyable."

Les alumineries font actuellement une cour assidue à Québec pour obtenir de nouveaux blocs d'électricité à bon tarif. Avec la crise que traverse l'industrie forestière, elles font valoir qu'elles sont aujourd'hui l'une des seules industries qui font vivre les régions. André Caillé estime qu'il ne faudrait pas céder à cette entreprise de charme. "On ne peut pas reprocher à qui que ce soit de faire la cour. On n'est pas obligé de les écouter."

L'ex-dirigeant d'Hydro-Québec précise cependant l'importance de respecter les ententes déjà signées. "On ne peut pas dire, du jour au lendemain, on ne vous vend plus d'électricité. On a des contrats, il faut les respecter. Mais, de là à financer de nouvelles alumineries, il me semble que ce serait non."

Cela étant dit, André Caillé reconnaît un fait : " Il reste une question non résolue au Québec et c'est l'avenir des régions. "

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