Le mois dernier, après des années de préparation, High River Gold a commencé à exploiter sa nouvelle mine d'or de Berezitovy, près de la frontière chinoise.

Le mois dernier, après des années de préparation, High River Gold a commencé à exploiter sa nouvelle mine d'or de Berezitovy, près de la frontière chinoise.

Pour en arriver là, les dirigeants de la minière canadienne ont dû signer beaucoup, beaucoup de documents. Une montagne de documents.

«On a dû obtenir un nombre incalculable de permis et de licences, rappelle Daniel Vanin, directeur de l'exploitation. À ce jour, on a environ 600 signatures sur les divers documents qu'il nous a fallu obtenir. C'est un système extrêmement bureaucratique, où il y a énormément de paperasse.»

High River Gold n'a pas eu le choix de respecter les règles de la bureaucratie locale pour mettre en branle son ambitieux projet. Mais, affirme Daniel Vanin, l'entreprise torontoise a catégoriquement refusé de jouer une autre partie: celle de la corruption.

«J'ai travaillé pendant 14 ans en Amérique du Sud, dit-il. Si tu veux jouer la partie, tu peux la jouer, mais ça n'arrête jamais par la suite. Dès le départ, on a clairement indiqué qu'on ne voulait pas jouer cette partie-là... et c'est peut-être pourquoi il nous a fallu 600 signatures!»

Même si la Russie demeure l'un des pays les plus corrompus de la planète, la plupart des grandes entreprises canadiennes rencontrées sur place par La Presse Affaires soutiennent que les choses ont beaucoup changé au cours des dernières années. Et qu'il est désormais possible de se tenir loin des pots-de-vin et autres paiements occultes.

C'est le cas d'Alcan. Le géant québécois de l'aluminium (qui passera bientôt aux mains de Rio Tinto) met ces jours-ci la touche finale à deux usines d'emballages ultramodernes, à Moscou et Saint-Pétersbourg.

L'usine de Moscou, située à un jet de pierre d'un quartier résidentiel cossu où les maisons se vendent plusieurs centaines de milliers de dollars, brille comme un sou neuf. Le lobby est épuré et accueillant, le vaste terrain, verdoyant et impeccablement entretenu.

L'usine est fin prête... mais elle n'a toujours aucune connexion au gaz et à l'électricité. En attendant l'hypothétique branchement au réseau, dans 12 ou 18 mois, elle fonctionnera au diesel. Le groupe a même songé à l'éolien!

Frédéric Goig, vice-président au développement des affaires pour l'Europe centrale et de l'Est chez Alcan, n'avait pas anticipé de telles difficultés.

L'attente est longue, mais il dit n'avoir jamais songé à user de stratagèmes – comme des pots-de-vin— pour accélérer la connexion au réseau.

«Personnellement, je refuse d'entendre ou de prêter l'oreille à ce genre de possibles solutions. Je sais qu'on pourrait me proposer d'accélérer les procédures.»

Alcan ne prendrait jamais le risque d'entacher sa réputation avec de telles pratiques, fait valoir Frédéric Goig. «On est une société publique avec des règles, des procédure, une éthique desquelles nous ne dérogerons pas.»

L'attitude adoptée pas Alcan et High River Gold est la meilleure pour durer dans la Russie d'aujourd'hui, disent plusieurs experts. Car si le versement d'un pot-de-vin peut accélérer les démarches dans les premiers mois d'une entreprise (ou fermer le clapet à un fonctionnaire véreux), le geste peut aussi revenir hanter l'entrepreneur peu scrupuleux des années plus tard.

«Beaucoup de gens d'affaires ont fait des ententes au noir dans les années 90, mais ceux avec qui ils ont fait ces ententes sont partis depuis longtemps, morts ou en prison, dit Elena Panfilova, directrice de Transparency International en Russie. Et maintenant, il est très difficile de prouver qu'il y a jamais eu des ententes.»

Se protéger des risques

Emmanuel Quidet, associé de la firme comptable Ernst and Young en Russie, est catégorique: les entreprises occidentales implantées en Russie doivent résister aux demandes de pots-de-vin qui leur sont faites. Surtout celles des inspecteurs de l'impôt, reconnus pour leur voracité et leurs méthodes barbares.

«On dit toujours: surtout, ne payez pas, parce que le problème, c'est que si vous êtes une entreprise étrangère et que vous commencez à payer, ils vont revenir la fois d'après, et puis encore, puis vous vous retrouvez pris dans un engrenage», raconte le Français, rencontré dans un luxueux hôtel de Moscou.

Il est de plus en plus facile de poursuivre les autorités fiscales, ajoute M. Quidet, malgré les lacunes évidentes du système judiciaire russe. «Leurs dossiers sont toujours mal montés. Si vous allez en justice, les dossiers sont gagnés dans 90% des cas.»

Nathan Hunt, qui préside à Moscou l'Association d'affaires Canada-Russie-Eurasie (ANCRE), est lui aussi affirmatif: les gens d'affaires doivent à tout prix éviter de céder à la tentation de faciliter les choses par un pot-de-vin.

«Si vous rencontrez un problème de corruption aujourd'hui en Russie, où quelqu'un vous demande de fortes sommes d'argent, c'est désormais possible d'éviter ça, en allant voir les autorités pour leur expliquer la situation, lance M. Hunt. Ce n'est pas possible dans 100% des cas, mais c'est faisable, alors qu'il y a 10 ans, vous étiez mieux de payer et vous la fermer.»

Partenariat

Pour bien réussir un projet en Russie, les partenariats de toutes sortes avec les autorités locales constituent souvent la meilleure solution, disent plusieurs entrepreneurs.

La compagnie Giffels, de Toronto, développe ces jours-ci un mégaprojet d'immobilier commercial de 500 millions de dollars en banlieue de Moscou. En toute légalité, insiste Christopher Van Riet, président du groupe en Russie. «Il s'agit de négocier avec les autorités pour faire en sorte qu'ils sentent que vous contribuez au secteur où vous investissez, qu'il s'agisse de construire une route ou d'améliorer les infrastructures...»

Pour réaliser son projet, Giffels a ainsi accepté que son complexe soit traversé par une route publique, qui reliera un village voisin à l'autoroute. «Nous allons payer pour la partie qui sera sur notre site», explique M. Van Riet.

Avoir un partenaire local est souvent nécessaire, dit lui aussi Nathan Hunt, de l'AACRE, mais il est primordial de choisir le bon.

«Un partenaire d'investissement, intéressé par votre succès, c'est quelqu'un qui va gérer les relations, dit-il. Vous avez besoin de quelqu'un pour gérer les relations russes. Avec les autorités locales, les autorités régionales, avec le gouverneur, avec les autorités nationales et avec les autres industriels. Ce sont ces relations qui peuvent faire ou défaire une entreprise.»