L'homme d'affaires indien Rajesh Galani a eu toute une surprise en avril dernier. Par un tranquille dimanche matin, le complexe industriel qu'il possède au nord de Moscou a été envahi par une douzaine de gardes armés, venus «saisir» les lieux.

L'homme d'affaires indien Rajesh Galani a eu toute une surprise en avril dernier. Par un tranquille dimanche matin, le complexe industriel qu'il possède au nord de Moscou a été envahi par une douzaine de gardes armés, venus «saisir» les lieux.

Les bureaux ont été fouillés de fond en comble, les titres de propriété originaux dérobés. Quelques heures après l'invasion, des hommes habillés en chics complets cravates se sont pointés. Ils se sont présentés aux entreprises locataires comme les nouveaux propriétaires des lieux, affirmant agir avec l'aval du gouvernement.

Ce qui était faux.

Quatre mois plus tard, Rajesh Galani attend toujours les conclusions de l'enquête policière. Il refuse d'investir un seul dollar dans son complexe tant que l'incertitude persistera. «Je veux en finir avec cette histoire, voir ce que la police va faire, et ensuite je vais investir», raconte-t-il.

Le cas de Rajesh Galani est extrême. Mais il est venu rappeler aux entrepreneurs étrangers qu'investir en Russie comporte une part de risque. Des risques qu'on peut de plus en plus éviter, et qui impliquent rarement des armes, mais qui demeurent bien réels.

«C'est un marché émergent, et le risque en Russie est le même que dans n'importe quel autre marché émergent, lance Nathan Hunt, président du chapitre moscovite de l'Association d'affaires Canada-Russie-Eurasie, rencontré à Moscou. Les rendements sont élevés, les risques sont élevés.»

Selon un rapport publié par Transparency International, la Russie demeure l'un des pays les plus corrompus au monde. Le marché des pots-de-vin s'élèverait à 240 milliards de dollars par an, l'équivalent du budget national russe.

Une autre étude, publiée par la fondation moscovite Indem, affirme que le niveau de corruption a augmenté de 50% entre 2002 et 2005. Plus de 39 millions de pots-de-vin auraient été versés seulement en 2005, selon l'enquête.

«C'est maintenant impossible de trouver une institution ou un secteur de l'économie qui ne soit pas affecté par la corruption», déplore Elena Panfilova, directrice de Transparency International en Russie, rencontrée dans les minuscules locaux de son organisme près du centre de Moscou.

Selon Mme Panfilova, le président russe Vladimir Poutine n'a pas rempli les attentes dans la lutte contre la corruption, lui qui en avait fait un de ses principaux chevaux de bataille à l'élection de 2000.

Et même si le sujet est régulièrement abordé par les autorités, il s'agit le plus souvent de mots lancés en l'air, soutient-elle.

«On ne s'attaque pas à la corruption avec de la rhétorique, lance Elena Panfilova. On s'y attaque surtout en appliquant les règles de la loi, et c'est le plus grand problème ici. Car si, dans un moment de folie, Poutine décidait de vraiment s'attaquer à la corruption, beaucoup de gens de sa garde rapprochée seraient en danger. Évidemment qu'il ne fera jamais ça.»

Des tours et des roubles

Avec ses infrastructures laissées dans un état désastreux par 70 ans de communisme et de mauvais entretien, la Russie est encore en mode reconstruction. Un peu partout, des immeubles à bureaux sortent de terre. De nouveaux centres commerciaux sont inaugurés chaque mois.

Et le marché de l'habitation ne dérougit pas, avec une demande constante pour les appartements et maisons unifamiliales dans toutes les gammes de prix. Impossible de marcher cinq minutes à Moscou sans tomber sur une grue.

Il y a de gros roubles à faire dans le secteur de la construction, et c'est là que la corruption demeure la plus ancrée. Il faut obtenir une ribambelle de permis avant de bâtir quoi que ce soit, ce qui multiplie les occasions de pots-de-vin et d'extorsion.

«Entre le début de la conception d'un projet et la fin, au moins 220 approbations sont nécessaires. Ça prend des nerfs d'acier», confie le PDG d'une firme de design de gratte-ciels très en vue à Moscou, qui juge que la situation de la corruption a empiré depuis cinq ans.

D'autres dirigeants et cadres supérieurs du secteur de l'immobilier, rencontrés à Moscou, affirment que le versement de pots-de-vin est inévitable. «C'est pratiquement impossible de diriger une entreprise de manière pleinement légale dans ce pays», dit l'un d'eux, résigné.

Les inspecteurs du fisc sont aussi très agressifs quand vient le temps de réclamer de l'argent aux entrepreneurs. Saisie de documents sans mandats, secrétaires agrippées au cou, menaces de mort: les histoires d'horreur sont nombreuses.

«Ici, quand les gens de la police de l'impôt viennent, ce n'est pas comme en Amérique du Nord, raconte sans émotion un jeune promoteur immobilier. Ils arrivent, disent: on voit que vous avez caché des revenus, on va vous mettre en prison. On leur demande combien ils veulent, on leur donne du fric, et ça marche comme ça. La Russie est un état où la police a beaucoup de pouvoir.»