Après 31 ans de loyaux services et à quelques mois d'une retraite bien méritée, Claude, opérateur de cisaille de l'usine de pneus de Goodyear, a appris par la bouche d'un serveur de restaurant que son emploi venait d'être supprimé.

Après 31 ans de loyaux services et à quelques mois d'une retraite bien méritée, Claude, opérateur de cisaille de l'usine de pneus de Goodyear, a appris par la bouche d'un serveur de restaurant que son emploi venait d'être supprimé.

«J'étais en train de faire des commissions. Le gars m'a demandé ce que je pensais de la fermeture de l'usine. Je ne savais pas de quoi il parlait. Quand j'ai compris ce qui se passait, j'ai comme figé», a confié l'employé quinquagénaire, rencontré hier midi à l'hôtel Plaza, au centre-ville de la municipalité de 40 000 âmes, où il espérait rencontrer des collègues qui pourraient l'éclairer davantage.

C'est dans une salle de conférence de cette ancienne usine de la Dominion Textile que quelques heures plus tôt, vers 8h30, quelques centaines des 1050 employés de l'usine ont été informés du licenciement imminent de 800 des leurs. Dans six mois, seul un petit département spécialisé dans la transformation du caoutchouc restera ouvert, ce qui épargnera 200 emplois bien rémunérés.

La journée de travail s'annonçait pourtant on ne peut plus normale dans les installations du géant du pneu. Aucun changement n'avait été prévu à l'horaire de travail. Depuis quelques jours, des employés s'activaient même à mettre en branle un plan de circulation pour l'usine, une opération de plusieurs centaines de milliers de dollars, selon le Syndicat des techniciens et employés de bureau, affilié aux Métallos-FTQ.

Appel à 6h15

«Quand le téléphone a sonné à 6h15 du matin et que le directeur de l'usine nous a convoqués à une rencontre avec deux dirigeants venus de l'Ohio, on a commencé à se douter que quelque chose ne tournait pas rond», a expliqué Daniel Mallette, président du syndicat qui compte une soixantaine de membres.

«On nous a expliqué que l'entreprise se retrouvait en surcapacité de production en Amérique du Nord, et que la production de pneus (génériques) pour les grandes chaînes comme Canadian Tire et Wal-Mart serait abandonnée. Ça représente huit millions de pneus par année, dont beaucoup ici, à Valleyfield», a ajouté Bruno Lefebvre, autre représentant syndical.

Selon toute vraisemblance, la fermeture est aussi étroitement liée à la signature, il y a deux jours, d'une convention collective entre Goodyear et ses 14 000 employés syndiqués des États-Unis affiliés à la United Steelworkers of America.

Immédiatement après la rencontre, les employés ont été invités à retourner chez eux. Devant l'usine, des gardes de sécurité surveillaient étroitement les allées et venues, refoulant jusqu'au boulevard Monseigneur-Langlois quiconque s'engageait sans autorisation dans l'entrée asphaltée du complexe.

Même le maire de Salaberry-de-Valleyfield, Denis Lapointe, venu s'adresser aux médias à plusieurs dizaines de mètres de la guérite à l'entrée de l'usine, s'est fait montrer la direction du boulevard par des gardiens polis, mais peu enclins à discuter.

Peu après l'annonce, le président de la FTQ, Henri Massé, fulminait : « Ils nous ont pris comme des sauvages en annonçant la nouvelle à 6h ce matin. Nous sommes en train d'évaluer les actions que nous pouvons prendre «, a-t-il dit.

«Nous voulons prendre le temps de digérer l'annonce de la fermeture, a cependant ajouté M. Massé. Si une rencontre avait lieu immédiatement, ça ne serait pas intéressant.»

Fermeture prévisible

Quoi qu'en pense le bouillant syndicaliste, la fermeture de l'usine de pneus de Salaberry-de-Valleyfield n'est pas une surprise pour bien des observateurs. En 1999, Goodyear avait clairement indiqué qu'elle n'avait pas l'intention de renouveler l'équipement de production de ses installations québécoises. Des investissements évalués à 100 millions étaient nécessaires, selon les spécialistes, pour que l'usine demeure compétitive face à celles d'Amérique du Sud. De tels investissements auraient aussi permis à l'usine campivallensienne de produire des pneus haut de gamme et des pneus de 17 et 18 pouces, très populaires pour le marché des VUS.

Devant cette menace de fermeture rapprochée, la Ville de Salaberry-de-Valleyfield, les différents syndicats de l'usine ainsi que certains partenaires de l'entreprise, comme Gaz Métropolitain, avaient entrepris des démarches auprès des gouvernements provincial et fédéral, de même qu'auprès du Fonds de solidarité de la FTQ, pour convaincre Goodyear de moderniser ses équipements.

«Nous allons maintenant concentrer nos efforts pour convaincre Goodyear d'investir dans les équipements de traitement du caoutchouc, a indiqué le maire Denis Lapointe. Nous avons ici une expertise qui pourrait être très profitable à l'entreprise.»

Au cours des prochains jours, les syndicats et la Ville entendent tenir des conférences de presse pour expliquer leur stratégie respective. L'inquiétude semblait cependant impossible à dissiper chez les commerçants implantés tout près de l'usine. «Pour moi, ce sont des milliers de dollars de ventes qui sont menacés, a indiqué Naz Islam, propriétaire de la tabagie Maden. Sur les 800 employés qui perdent leur emploi, plus de la moitié venaient faire un tour à l'occasion», a-t-il assuré.

Visiblement, l'incertitude rongeait aussi Claude, l'opérateur de cisaille : «J'avais prévu prendre ma retraite dans trois mois. C'est vrai que j'évite le pire. Mais combien Goodyear va-t-elle m'enlever pour ces trois mois perdus? Je n'en sais rien, et j'ai l'impression que ça va prendre un petit bout avant que je le sache.»

Avec la collaboration de Vincent Brousseau-Pouliot