Un «planificateur financier » bien connu des autorités boursières canadiennes, Laurent « Larry » Barnabé, revient dans l'actualité judiciaire après avoir quitté Montréal à la fin des années 90, pour le sable chaud des paradis fiscaux offshore.

Un «planificateur financier » bien connu des autorités boursières canadiennes, Laurent « Larry » Barnabé, revient dans l'actualité judiciaire après avoir quitté Montréal à la fin des années 90, pour le sable chaud des paradis fiscaux offshore.

Dès février 2007, M. Barnabé devra se défendre d'accusations criminelles devant un tribunal fédéral américain pour son rôle présumé dans une fraude de 206 millions de dollars américains commise par une banque offshore des Caraïbes.

Vers la fin des années 90, M. Barnabé avait laissé derrière lui l'hiver québécois et d'autres inconvénients, comme son casier judiciaire pour des infractions aux lois sur les valeurs mobilières du Québec et de l'Ontario.

Il y avait aussi un recours collectif au civil où des millions de dollars sont réclamés, à lui et à plusieurs autres personnes et sociétés poursuivies conjointement.

Dans cette poursuite en dommages, des investisseurs décrivent M. Barnabé comme le principal cerveau d'une vaste arnaque d'abris fiscaux bidons construits autour d'une myriade de faux projets de recherche et développement, au début des années 90.

" Nous le considérions comme insolvable et nous n'avions pas son adresse ; tout ce qu'on avait entendu dire, c'est qu'il était parti vers les îles du Sud il y a quelques années ", a dit à La Presse Affaires Me Pierre Sylvestre, qui mène depuis 12 ans plusieurs recours collectifs au nom de centaines d'investisseurs qui ont perdu 100 millions de dollars dans ces abris fiscaux.

" La poursuite qui nomme M. Barnabé comme intimé représente au moins 50% des pertes subies ", affirme Me Sylvestre.

Le fait que M. Barnabé ait été localisé par la justice américaine (à Las Vegas) intéresse beaucoup l'avocat. Me Sylvestre a indiquéqu'il pourrait assigner M. Barnabé à comparaître à son procès au civil, maintenant que ce dernier a une adresse connue de la justice américaine et un rendez-vous en cour au mois de février.

Après ses ennuis au Canada, Laurent Barnabé a élu domicile dans la charmante île de St. Kitts, dans les Caraïbes, où il s'est durant un certain temps recyclé dans l'hôtellerie. En 1999, un dossier de cour lui donnait comme adresse l'hôtel Fort Thomas, à Basseterre.

Une firme liée à M. Barnabé avait d'ailleurs sollicité des investisseurs au Québec au sujet du Projet Fort-Thomas, selon un mandat de perquisition de la Commission des valeurs mobilières du Québec daté de 1992.

Mais selon les accusations déposées contre lui aux États-Unis, M. Barnabé s'est rapidement lassé de la vie d'aubergiste sous les palmiers et est vite retourné à ses anciennes amours dans la finance, cette fois à la Grenade, un autre paradis fiscal des Caraïbes.

Là, il a mis ses talents de promoteur au service de la First International Bank of Grenada (FIBG), où l'argent des déposants est entré par millions, affirme la poursuite.

Aujourd'hui, il est accusé de fraudes postales et électroniques, de complot de fraudes et de complot de blanchiment d'argent. Dans ce procès à venir- sans lien avec ses antécédents judiciaires canadiens- M. Barnabé est accusé d'avoir participé dès 1998 à une fraude de 206 millions de dollars américains commise de 1996 à 2000 par la FIBG et une douzaine de filiales offshore.

Le procès a été annoncé le mois dernier par la justice américaine, quand deux coaccusés de Larry Barnabé ont plaidé coupable.

L'homme a été arrêté en janvier 2004; il a été libéré contre une caution de 100 000 $. Il vit maintenant à Las Vegas, selon l'acte d'accusation, dont la plus récente mouture remonte à avril 2005.

Le principal responsable des crimes allégués, le coaccusé Gilbert Ziegler (alias Van A. Brink) est décédé d'une crise cardiaque en 2005, avant d'être traduit en justice.

M. Barnabé a plaidé non coupable. Aucune des allégations n'a été prouvée en cour mais, s'il est reconnu coupable, il risque une peine maximale de 10 ans de prison.

Stratagème à la Norbourg

La First International Bank of Grenada (FIBG) offrait aux déposants américains et canadiens des placements censés rapporter jusqu'à 300 % et prétendait en 1999 gérer des actifs de 74 milliards US.

Mais ces affirmations étaient fausses, la FIBG était une banque bidon qui détournait l'argent des déposants, soutient l'acte d'accusation.

Les fonds investis par les déposants les plus récents servaient à payer les intérêts promis aux investisseurs précédents.

Ce stratagème à la Norbourg a aussi permis que de l'argent des déposants soit utilisé au bénéfice de M. Barnabé et des autres accusés pour se payer " des salaires exorbitants " et " des résidences de luxe (...), d'autres actifs immobiliers, des voitures de luxe, des meubles, des bijoux, une machine à bronzer, des vêtements griffés, des voyages, du jeu (" gambling "), la location de jets privés, etc. ", affirme la poursuite, qui ne précise pas à quel accusé chaque achat aurait bénéficié.

Autre analogie avec Norbourg, la FIBG indiquait à ses clients que les dépôts étaient surveillés par un fiduciaire indépendant, qui, en réalité, était contrôlé par un des accusés.

Les déposant ont essuyé des pertes supérieures à 100 millions US, affirme la justice américaine. Les autorités bancaires de la Grenade ont fermé la FIBG en août 2000.

Pays imaginaire et bière froide

Quand un syndic a liquidé la banque par la suite, en 2001, il a trouvé dans les livres des placements " sans logique financière ".

Par exemple, de supposées obligations d'un pays inexistant, le " Dominion de Melchizedek " (qui semble être un canular Internet), et un investissement dans une technologie de refroidissement de la bière. Il y avait aussi des placements immobiliers en Ouganda et dans un studio d'enregistrement à Trinidad.

Laurent Barnabé n'est pas visé par la plus grave accusation, soit celle d'avoir participé aux opérations de blanchiment d'argent (il est accusé d'avoir seulement comploté en ce sens).

Selon l'acte d'accusation américain, M. Barnabé dirigeait la filiale " éducative et de marketing " de la First International Bank of Grenada, il participait au démarchage des clients lors de séminaires sur la fiscalité offshore.

Il recrutait des représentants aux ventes et les plaçait chacun dans sa société offshore indépendante, dans le dessein de créer des " cloisons pare-feu " juridiques entre les diverses opérations de la banque et de ses filiales.

Il participait aux réunions du conseil d'administration de la FIBG.

Le mois dernier, deux coaccusés de M. Barnabé ont plaidé coupable à une accusation réduite, soit d'avoir conspiré pour blanchir de l'argent en rapport au stratagème frauduleux. Robert Skirving a accepté une peine de huit ans et un mois dans un pénitencier fédéral.

La peine de Rita Regale pourrait atteindre cinq ans et 11 mois. Elle a accepté de " collaborer " comme témoin lors du procès de M. Barnabé et d'un autre coaccusé, Douglas Ferguson.

Laurent Barnabé, quant à lui, compte se défendre avec vigueur durant son procès, a dit son avocat.

" Mon client n'est disposé à reconnaître aucune culpabilité; nous investiguons méticuleusement toutes les facettes des accusations et nous nous préparons pour le procès ", a dit Me Douglas Stringer.

Me Stringer a indiqué que son client ne commenterait pas la poursuite civile qui le vise au Québec, ni d'anciennes condamnations au pénal canadiennes, dont l'avocat dit ne pas connaître les détails. " Elles n'ont aucun lien factuel avec les accusations présentes, ici. "

Au Québec, l'accusé Barnabé n'a jamais soumis de défense dans le recours collectif qui le vise à Montréal et n'a jamais même pris d'avocat, quand il est parti pour le Sud, indique Me Pierre Sylvestre.

La procureure fédérale chargée de la poursuite, Claire Fay, de Portland, en Oregon, n'a pas voulu commenter la cause américaine.

Le procès aura lieu en Oregon parce que certains transferts de fonds constituant les fraudes alléguées ont été faits par des comptes ouverts dans institutions bancaires de cet État de la côte Ouest américaine.

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