«Conrad Black ira-t-il vraiment en prison?» demandait un homme qui pressait le pas sur Bay Street près de la gare Union, vendredi, au centre-ville de Toronto.

«Conrad Black ira-t-il vraiment en prison?» demandait un homme qui pressait le pas sur Bay Street près de la gare Union, vendredi, au centre-ville de Toronto.

Quelques heures plus tôt, l'ex-patron de presse canadien, célèbre au sein de la bourgeoisie torontoise, avait été déclaré coupable de quatre des 13 accusations de fraude qui pesaient contre lui, au palais de justice de Chicago.

Conrad Black a dû céder son passeport britannique à la justice, vendredi, avant de quitter le tribunal avec ses proches et ses avocats, l'air stoïque, le teint pâle, et sans dire un mot aux nombreux médias présents pour la condamnation.

Lord Black de Crossharbour, 62 ans, fait désormais face à des peines d'emprisonnement pouvant totaliser 35 ans. Une sentence qu'il purgerait dans un pénitencier américain, parce qu'il a renié sa citoyenneté canadienne il y a plusieurs années.

Le flamboyant homme d'affaires risque aussi la ruine avec le versement de millions de dollars en amendes et en restitutions d'actifs. Les accusations auxquelles il faisait face découlaient d'une fraude de 60 millions US chez Hollinger International, le groupe de presse dont le siège social était à Chicago, mais que Conrad Black et ses adjoints - co-accusés au procès - contrôlaient depuis Toronto.

Des quatre condamnations, la plus grave est celle d'entrave à la justice. Elle pourrait valoir à elle seule 20 ans derrière les barreaux.

L'accusation d'entrave à la justice découle du déplacement illicite de boîtes de documents par M. Black et son chauffeur, à ses bureaux de Toronto, malgré un interdit juridique.

Ce geste capté par caméras vidéo a manifestement convaincu les jurés lors de leurs 12 jours de délibérations, après 15 semaines de procès.

Leur verdict mixte - trois condamnations et neuf acquittements - pourrait cependant servir d'argument pour l'appel. Un recours que les avocats de Conrad Black se sont empressés d'annoncer vendredi.

«Mon client a tout de même été acquitté des accusations les plus graves. C'est pourquoi nous irons en appel de ce verdict», a dit son principal avocat, Eddie Greenspan, à sa sortie de cour à Chicago.

Peu après, c'était au tour du procureur-chef de la justice fédérale américaine à Chicago, Patrick Fitzgerald, de vanter les condamnations obtenues par ses adjoints, même partielles.

«Conrad Black est désormais un condamné pour fraude, peu importe son rang social, et il sera puni en conséquence», a indiqué M. Fitzgerald.

Pour Hugh Totten, un avocat de Chicago spécialisé en crimes financiers qui a suivi le procès, «c'est presque sûr que Conrad Black ira en prison pour entrave à la justice. Mais pour les trois autres condamnations, ça reste à voir.

Les procureurs fédéraux américains n'ont certainement pas obtenu le verdict aussi décisif qu'ils auraient souhaité pour l'ensemble des accusations.»

N'empêche, après quatre mois de procès, Conrad Black devra attendre encore quelques mois avant de connaître sa sentence.

Les procureurs fédéraux américains réclament de 15 à 20 ans de prison, en plus de la saisie de millions en actifs.

«La peine pourrait être sévère, si l'on regarde ce qui s'est fait lors de grands procès précédents pour fraude d'affaires aux États-Unis ces dernières années», a commenté Bernard Harcourt, directeur au Centre d'études en justice criminelle, à l'Université de Chicago.

La comparution pour sentence de M. Black a été fixée au 30 novembre, encore en Cour fédérale à Chicago.

Entre-temps, il devra attendre quelques jours avant de savoir s'il pourra obtenir une liberté conditionnelle, et à quel montant sera fixée sa caution.

Vendredi, les procureurs fédéraux ont invoqué «le risque de fuite» de M. Black pour réclamer des conditions sévères de liberté provisoire, dont l'interdiction de quitter les États-Unis.

C'est la juge Amy St. Eve, qui a présidé la cause, qui décidera de ces conditions, ainsi que de sa sentence.

Elle a décidé de reporter à jeudi, 19 juillet, l'audience sur la liberté conditionnelle de M. Black.

D'ici là, il ne peut quitter Chicago, demeurant confiné aux abords de sa résidence: une suite du luxueux hôtel Ritz Carlton.

En comparaison, deux co-accusés de M. Black, qui étaient ses principaux adjoints à la direction de Hollinger, ont obtenu leur remise en liberté conditionnelle de la juge St. Eve.

Il s'agit de Jack Boultbee, 63 ans, ancien directeur financier, et Peter Atkinson, 59 ans, ex-vice président et avocat en chef de Hollinger. Ils ont été reconnus coupables des quatre mêmes chefs d'accusation de fraude que Conrad Black.

Néanmoins, ils peuvent revenir au Canada d'ici leur comparution pour sentence, en novembre prochain. Et ils pourraient purger toute peine de prison dans un pénitencier au Canada, contrairement à M. Black. Mark Kipnis, 60 ans, principal avocat américain de Hollinger International à Chicago, reconnu coupable de trois des 11 chefs d'accusation de fraude, est en liberté conditionnelle.