Dans la famille Dutil, à chacun ses rivalités sportives. Marcel Dutil a été à la fois propriétaire des Nordiques... et partisan du Canadien!

Dans la famille Dutil, à chacun ses rivalités sportives. Marcel Dutil a été à la fois propriétaire des Nordiques... et partisan du Canadien!

«Mon père s'est embarqué dans l'aventure des Nordiques parce qu'il aimait le sport mais il a toujours pris pour le Canadien», raconte son fils Marc.

Aujourd'hui à la tête du Groupe Canam, ce dernier doit composer avec l'une des plus grandes rivalités du baseball, qui oppose les Mets et les Yankees de New York. Après des négociations ardues, l'entreprise de la Beauce construira les nouveaux stades des deux frères ennemis.

«Les Yankees n'acceptaient pas que le même fournisseur construise les deux stades, dit le président et chef de l'exploitation du Groupe Canam. Nous leur avons fait valoir que ce n'était pas la fin du monde et que leur stade ne constituait que 4% de notre production annuelle d'acier. Ils ont accepté, mais ils ont exigé que notre meilleure usine, notre meilleur ingénieur et notre meilleur contremaître soient assignés à leur projet plutôt qu'au stade des Mets.»

Aussi populaire soit-il dans le baseball majeur, Marc Dutil ne construira jamais le stade de ses rêves au centre-ville de Montréal.

«J'aimais beaucoup les Expos, dit-il. Je me rappelle encore du circuit de Rick Monday en 1981 qui les avait empêchés de participer à la Série mondiale. J'avais caché une radio dans mon bureau à l'école pour écouter le match en direct...»

Le Groupe Canam a été fondé par votre père Marcel. Votre nom de famille a-t-il été un obstacle dans votre ascension au sein de l'entreprise? - Patrice Saucier

R: J'ai commencé à travailler chez Canam à 14 ans. Je faisais le shift de soir à l'usine de Saint-Gédéon et je finissais à 1h du matin. Après trois semaines, mon père m'a dit que je devais faire une semaine de plus. Je me suis mis à brailler.

J'ai trouvé ça dur mais j'ai développé de l'administration pour les gens qui faisaient cette ouvrage-là. Après mes études, je ne voulais pas travailler pour mon père. Comme j'ai étudié en informatique, je faisais des logiciels à New York.

J'en ai conçu un pour écrire des curriculum vitae et un autre pour évaluer la performance des gardiens de but au hockey – que nous avons vendu à plusieurs équipes de la LNH. Je ne savais pas trop où je m'en allais mais je gagnais bien ma vie, au grand désespoir de mon père.

J'ai travaillé un peu en Ontario et à Montréal, puis j'ai commencé chez Canam en 1989, à l'âge de 25 ans. Je n'ai jamais eu de problèmes avec le fait que j'étais le fils à Marcel Dutil.

Votre père semblait tout faire pour garder les emplois de Canam en Beauce. Quelle est votre philosophie à ce sujet? - Sylvio Janelle (Saint-Georges, en Beauce)

R: Je vis dans la maison de mon arrière grand-père à Saint-Georges avec ma femme et mes cinq enfants, qui fréquentent tous des écoles de la Beauce.

Nous allons travailler fort pour conserver les bons emplois en Beauce. Nous avons ces emplois parce que les gens de la Beauce font de très belles choses.

Nous sommes toutefois dans un secteur cyclique et les marchés d'aujourd'hui nous ont appris à se comporter de façon plus prudente. Je ne veux pas faire de clin d'oeil à mon père, mais nous prenons certaines décisions de façon moins impulsive.

Est-ce plus facile de créer un nouveau produit au Canada ou ailleurs dans le monde? - Bernard Pruneau

R: Nous avons des usines au Québec et aux États-Unis en plus d'avoir des intérêts au Mexique, en Arabie Saoudite, en France, en Russie, en Chine, à Dubaï, en Roumanie et en Inde.

Nous lançons des nouveaux produits chaque année et le Québec est un bon endroit pour en développer. Le régime québécois d'aide à la recherche et développement n'est pas seulement généreux, il est aussi prévisible. Les entreprises savent à quoi s'attendre.

Que pensez-vous de la mondialisation? - Patrice Desnoyers

R: La mondialisation est d'abord dans nos têtes. Les autres pays semblent plus accessibles. Et ils le sont: au cours de ma vie, je suis allé plus souvent en Roumanie qu'à Laval.

Par contre, la main-d'oeuvre est moins mobile. C'est dommage. Mais ce n'est pas Canam, une petite entreprise canadienne, qui va freiner la mondialisation. Il faut plutôt comprendre le phénomène et s'y adapter.

Les séminaires de formation pour les gestionnaires sont-ils bénéfiques pour une entreprise? - André Lamalice

R: J'ai fait plusieurs cours du genre à Columbia, Harvard, McGill et Banff. Je reviens d'ailleurs d'un séminaire à Lausanne avec mon père sur la gestion des conseils d'administration.

J'apprécie ces cours parce qu'ils permettent de réfléchir en profondeur et de s'éloigner du quotidien d'une entreprise, même si c'est plus difficile aujourd'hui avec les BlackBerry.

La question d'Alban d'Amours, président et chef de la direction du Mouvement Desjardins: croyez-vous que nos gouvernements devraient intervenir pour encadrer les acquisitions d'entreprises canadiennes par des intérêts étrangers?

R: On parle beaucoup de l'acquisition d'Alcan par des intérêts étrangers ces temps-ci, mais ce phénomène-là n'est pas nouveau. En 1975, le gouvernement fédéral avait créé un groupe de travail sur la question.

Au Canada, nous avons tendance à être des gentils garçons. Nous voulons être vertueux. C'est un de nos défauts.

Le Canada est l'un des pays où il est le plus difficile de se protéger contre une prise de contrôle par des intérêts étrangers. Les Américains, qui vivent au pays de la libre entreprise, se protègent énormément contre les prises de contrôle étrangères.

Le Canada doit croire aux vertus du marché mais il doit apprendre à se protéger un peu.