Les fonds spéculatifs ("hedge funds") ont un flair bien connu pour repérer une proie facile et payante. Ils ont aussi un sens aigu de l'ironie, comme on a pu le constater ces derniers jours.

Les fonds spéculatifs ("hedge funds") ont un flair bien connu pour repérer une proie facile et payante. Ils ont aussi un sens aigu de l'ironie, comme on a pu le constater ces derniers jours.

Pendant que des millions d'Américains insouciants, le portefeuille bien garni de cartes de crédit, se ruaient dans les magasins à la Thanksgiving pour s'acheter des biens importés de Chine, de l'Inde ou d'ailleurs, des spéculateurs en Asie et en Europe s'acharnaient discrètement à déprécier leur devise.

C'est en effet au début de ce long congé, qui déclenche une vague de consommation effrénée en Amérique, que s'est amorcée l'actuelle glissade du billet vert.

Celui-ci a plongé de près de 3,5% par rapport l'euro (à 1,334 $US pour un euro vendredi) au cours des huit dernières séances. La monnaie de l'Oncle Sam a même touché un creux depuis 14 ans contre la livre sterling.

On n'en parle pas beaucoup dans les chaumières, mais la situation devient préoccupante. Car advenant que sa glissade s'accélère, le dollar américain pourrait entraîner dans son sillon l'ensemble des marchés financiers.

L'impatience s'accroît

En réalité, la devise américaine a amorcé graduellement sa descente en 2002 sans provoquer de remous. Toutefois, les gestionnaires de fonds et même des banques centrales, qui détiennent ensemble plus de 2000 milliards US d'obligations américaines, s'impatientent devant les problèmes multiples de nos voisins du Sud.

Entre autres, on craint que la plus grande économie au monde ralentisse davantage en 2007 sous l'effet d'une crise immobilière qui traîne en longueur. De plus, on apprenait vendredi que le secteur manufacturier s'est contracté pour la première fois en trois ans durant le mois d'octobre. Aussi, beaucoup d'investisseurs s'attendent à ce que la Réserve fédérale (Fed) abaisse les taux d'intérêt l'an prochain pour relancer l'économie, au moment où les taux sont à la hausse en Europe. Or, une telle distorsion rendra les titres de créance américains moins attrayants pour les étrangers.

Mais surtout, les milieux financiers s'inquiètent de la détérioration alarmante du bilan financier des États-Unis. Au deuxième trimestre 2006, les Américains ont transféré à l'étranger pour des importations et des paiements d'intérêt surtout 220 milliards US de plus qu'ils ont rapatrié. Ce fameux "déficit de la balance commerciale américaine" la preuve que le reste de la planète finance la croissance américaine est tout près de son record trimestriel de 223 milliards US enregistré à la fin 2005. Et personne n'entrevoit une embellie durable à l'horizon.

Pas surprenant que la Banque centrale de Chine vienne d'annoncer qu'elle réduira ses réserves de billets verts un bas de laine de quelque 700 milliards US (dont plus de la moitié en obligations).

Les autorités chinoises, à l'instar de milliers d'investisseurs, souhaitent diversifier leur portefeuille en misant sur d'autres devises afin de réduire leur niveau de risque. Personne ne peut les blâmer. Mais le fait que tout ce beau monde songe, en même temps, à tourner le dos au billet vert donne des frissons pour diverses raisons.

D'abord, la baisse du dollar américain est un phénomène inflationniste car elle accroît le coût des biens importés aux États-Unis.

Et advenant un dérapage des marchés, qui entraînerait une chute accélérée du dollar américain, la Fed devrait hausser brusquement les taux pour stopper l'hémorragie.

S'accroîtraient alors les risques d'une récession américaine sévère. Aucun partenaire commercial des États-Unis ne souhaite cela, en commençant par le Canada.

Si on en vient à prononcer le mot débutant par la lettre "R" dans les milieux financiers, on imagine la réaction de Wall Street et des autres Bourses de la planète

Pour l'instant, la plupart des experts persistent à croire que la descente du dollar américain était inévitable et qu'elle se poursuivra à un rythme modéré. Les marchés et l'économie mondiale auront ainsi le temps de s'ajuster. On le souhaite.

Car le billet vert américain demeure la monnaie la plus échangée et la plus reconnue au monde. Personne n'a intérêt à ce qu'il passe des Fêtes trop moches.