Non seulement Éric Asselin est-il passé directement de la Commission des valeurs mobilières du Québec (CVMQ) à Norbourg, mais il enquêtait précisément sur Norbourg avant de faire le saut.

Non seulement Éric Asselin est-il passé directement de la Commission des valeurs mobilières du Québec (CVMQ) à Norbourg, mais il enquêtait précisément sur Norbourg avant de faire le saut.

Il sautait ainsi directement d'un poste où il enquêtait sur Vincent Lacroix à un poste-clé fdans l'entreprise de cet homme.

Même avisée de l'apparence de transgression éthique, la CVMQ l'a laissé faire. C'est ce qu'affirme Scott Disher, un " enquêteur privé en valeurs mobilières " qui a travaillé à la CVMQ à cette époque.

" Quand j'ai appris ça, je suis allé voir le directeur de la conformité (Jean Lorrain, à qui M. Disher se rapportait) et je lui ai suggéré de congédier (M. Asselin) sur-le-champ, ce qui l'aurait empêché d'accepter ce poste, et ce qui aurait été un signal clair (de la part de la CVMQ) qu'une transgression majeure avait été commise et que le directeur de la conformité (M. Lorrain) avait la volonté de faire le ménage devant un tel comportement. "

M. Disher dit avoir fait sa " recommandation " verbalement à M. Lorrain.

" Je leur ai dit qu'ignorer (...) cette situation non éthique aurait des ramifications majeures futures. Il n'y avait aucun doute sur les raisons de l'embauche d'Éric Asselin (...). Il était engagé parce qu'il avait été assigné à un rôle qui, normalement, aurait amené ces gens (M. Lacroix et d'autres) dans une énorme enquête formelle et publique " sur Norbourg.

M. Disher note que quelques semaines après l'embauche de M. Asselin par Norbourg, on le retrouve falsifiant, avec M. Lacroix, des documents destinés à tromper l'Autorité des marchés financiers (selon la déclaration d'Éric Asselin aux enquêteurs de la GRC). Ces fausses déclarations sont ensuite remises à l'AMF dans le cadre d'une inspection de Norbourg.

Selon M. Disher, l'intérêt de la CVMQ pour M. Lacroix émanait d'une enquête formelle faite au début des années 2000 sur Maxima Capital, une maison de courtage que M. Lacroix avait voulu acheter. La CVMQ a finalement fermé Maxima. Un des enquêteurs au dossier était Éric Asselin.

M. Asselin et son avocat, Me Jean Lozeau, se sont abstenus de toute déclaration au sujet de ces allégations.

L'Autorité des marchés financiers (qui a succédé à la CVMQ) a pour sa part refusé de commenter spécifiquement les informations communiquées par M. Disher, en raison d'enquêtes en cours et de recours judiciaires en instance relativement à Norbourg et à Vincent Lacroix.

Motifs sérieux

Cependant, lorsque nous avons transmis une série de questions relativement aux déclarations de Scott Disher, l'AMF a répondu par l'entremise de l'avocat Juan Manzano. " L'AMF a des motifs sérieux d'affirmer que des informations et des renseignements faux, trompeurs ou mensongers vous ont été fournis (...) par Scott Disher ", écrit-il.

L'AMF a aussi communiqué à La Presse une mise en demeure qu'elle a adressée à M. Disher, le 29 septembre, le sommant notamment de se rétracter auprès de La Presse au sujet de ses " informations fausses, trompeuses ou mensongères " et le menaçant de poursuites, notamment pour bris de son devoir de confidentialité en tant qu'ancien employé de la CVMQ.

M. Disher a indiqué à La Presse qu'il ne retirait aucune déclaration.

Il affirme avoir été engagé par la CVMQ en 2001 pour lui fournir des informations émanant des milieux financiers et l'aider à traiter ces informations dans le cadre d'enquêtes. Il a signé plusieurs rapports internes lors de l'enquête formelle de la CVMQ sur la firme Jitec, que La Presse a obtenus. Ses responsabilités impliquaient aussi d'encadrer le travail de jeunes enquêteurs et de faire des recommandations à la CVMQ sur ses méthodes, affirme-t-il.

L'AMF a refusé de confirmer quelles étaient les responsabilités précises de M. Disher, se bornant à confirmer qu'il a effectivement eu deux mandats de consultant.

Mercredi, le syndic Gilles Robillard, de RSM Richter, a déposé en Cour des documents révélant que M. Asselin a reçu 120 000 $ de Vincent Lacroix le 25 février 2002, alors qu'il était encore employé de la CVMQ. Le syndic affirme aussi avoir appris- de Vincent Lacroix- que M. Asselin avait été recruté par Norbourg à l'automne 2001, plusieurs mois avant de cesser de travailler pour la CVMQ (le 7 mars 2002).

C'est précisément durant cette période que M. Disher affirme avoir eu plusieurs réunions avec Éric Asselin sur le dossier Vincent Lacroix.

" Éric ne pouvait entretenir aucune illusion sur le type de personnes à qui il avait affaire " en allant chez Norbourg, affirme M. Disher. " Il ne pouvait pas s'imaginer que ces gars-là avaient le profil des petits messieurs qui gèrent les fiducies familiales de Westmount. "

M. Disher affirme avoir été renversé, à la fin février 2002, quand M. Asselin a annoncé qu'il quittait la CVMQ et qu'il passait chez Norbourg. Et la CVMQ a fait une erreur aux conséquences " inévitables " en laissant M. Asselin faire le saut du côté de M. Lacroix, ajoute M. Disher.

L'AMF n'a pas donné suite à une demande d'entrevue à M. Lorrain, qui occupe maintenant d'autres fonctions à l'AMF.

Au sujet de M. Disher, l'AMF a seulement confirmé qu'il a travaillé pour la CVMQ pour un court mandat à l'automne 2001, puis une partie de l'année 2002.

L'Autorité n'a pas voulu donner de détails sur son travail et a refusé une demande d'accès à l'information visant à obtenir une copie de son contrat d'embauche.

" Je ne voyais pas dans une boule de cristal la disparition de 140 millions de dollars versés par des investisseurs, raconte Scott Disher. Mais (...) à ma connaissance, c'était une situation sans précédent dans aucune commission des opérations des Bourses en Amérique du Nord: un enquêteur travaillant sur une cible d'enquête majeure, qui traverse directement " (chez sa cible d'enquête) " dans un poste où, essentiellement, il est chargé des affaires réglementaires de cette cible d'enquête ".

" Je n'ai pas pu persuader ces gens (la CVMQ) de regarder vers l'horizon et voir quelle situation ils créaient en permettant que ceci ne soit pas puni. Je ne pouvais pas prévoir exactement ce qui allait se passer, mais j'ai fait valoir que ça aurait des conséquences négatives graves. "

Selon M. Disher, l'offre d'emploi faite par M. Lacroix à M. Asselin était aussi répréhensible que son acceptation par M. Asselin. Et aussi dommageable pour la CVMQ.

" Quand, essentiellement, on tend le bras à l'intérieur d'une agence d'enquête, et qu'on stoppe cette enquête en débauchant l'enquêteur chargé de l'enquête, c'est une interférence majeure, qui exige une réponse sans équivoque. "

Le 20 février dernier, lors de son témoignage devant le syndic Gilles Robillard, de RSM Richter, Éric Asselin a indiqué que Norbourg intéressait la CVMQ à l'époque où il y était enquêteur.

" Je connaissais Norbourg avant, là, j'étais à la Commission des valeurs mobilières du Québec, puis Norbourg était un petit peu dans la mire d'eux pendant un certain temps. " Dans ce témoignage, cependant, il ne reconnaît pas avoir été assigné à ce dossier.

Scott Disher admet qu'il a un litige avec l'AMF, à qui il réclame une quantité substantielle d'heures de travail facturées, que l'Autorité ne reconnaît pas.

Il a déjà été soupçonné, par un de ses clients privés, d'avoir voulu utiliser des renseignements confidentiels pour obtenir un paiement contesté.