Après avoir traversé des mois d'un débat déchirant autour de la privatisation d'une partie du parc du Mont-Orford, congédié le ministre Thomas Mulcair, encaissé les manifestations et subi le tir de ses propres députés, le gouvernement Charest aura toute une surprise.

Après avoir traversé des mois d'un débat déchirant autour de la privatisation d'une partie du parc du Mont-Orford, congédié le ministre Thomas Mulcair, encaissé les manifestations et subi le tir de ses propres députés, le gouvernement Charest aura toute une surprise.

L'homme d'affaires au centre de la controverse le printemps dernier, André L'Espérance, de Mont-Orford inc., ne sera pas sur les rangs quand le ministre Claude Béchard lancera l'appel d'offres international, probablement la semaine prochaine, a appris La Presse de plusieurs sources.

M. L'Espérance se contentera de récolter le dédommagement prévu par le gouvernement du Québec, qui mettra fin au bail de 70 ans détenu par Mont-Orford inc. pour gérer le centre de ski.

Au cabinet de Claude Béchard, on confirmait indirectement l'information. L'opposition péquiste a toujours soutenu que la privatisation avait été taillée sur mesure pour M. L'Espérance et son groupe (dont font partie quelques sympathisants libéraux en vue de l'Estrie, dont l'ex-ministre Paul Gobeil).

L'absence de M. L'Espérance au fil de départ "montre que ce n'était pas vrai", a dit Pascal D'Astous, porte-parole du ministre du Développement durable.

L'an dernier, M. L'Espérance avait réclamé 20 millions à Québec, soutenant qu'il voulait mettre fin au bail parce que le centre de ski n'était pas rentable. En commission parlementaire au printemps, on parlait de 12 millions environ.

La semaine dernière, M. Béchard parlait de 5 à 15 millions. Des environnementalistes réclament que Québec, avant de distribuer l'argent des contribuables, rende publique une évaluation indépendante de la firme KPMG, réalisée quand, à la tête de Mont-Orford inc., M. L'Espérance avait racheté des actionnaires minoritaires.

Québec devra miser sur d'autres entreprises et sur le projet de coopérative émanant de la MRC, pour répondre à l'appel d'offres prévu par la loi 23.

La loi prévoit la privatisation de 475 hectares du parc du Mont-Orford, incluant la partie skiable de la montagne, le terrain de golf et le pied des pentes où M. L'Espérance voulait construire 800 appartements de luxe.

"Les chiffres ne sont plus là. Les conditions de rentabilité du centre de ski sont aléatoires", résument des proches et des conseillers de l'homme d'affaires de Magog.

M. L'Espérance a, indique-t-on, consulté des spécialistes comme Michel Aubin, ex-patron d'Intrawest à Tremblant, pour se faire dire que même s'il construisait ses 800 condominiums, il ne pourrait en vendre qu'une quarantaine par année.

À Bromont tout proche, des projets de condos sont restés au stade des fondations tellement le marché est mauvais. Même en misant sur le marché international, à Tremblant, une centaine de condominiums par année peuvent être vendus.

En outre, les conditions de ski au Mont-Orford sont souvent médiocres et ne s'amélioreront pas avec le temps, de l'avis des climatologues.

La semaine dernière, M. L'Espérance avait provoqué toute une commotion dans la région en annonçant l'annulation de la saison de ski à la suite de la mise en lock-out des employés du centre de ski.

En revenant sur cette décision, il obtenait l'assurance d'avoir 100 % de la valeur de son bail, une garantie qu'il n'avait pas aussi clairement jusqu'ici. Surtout, explique-t-on dans son entourage, il obtient de faire fonctionner le centre de ski aux conditions de l'ancienne convention collective, pendant les quelques mois où les activités de ski sont toujours rentables.

Un bénéfice de 1 million de dollars est à prévoir d'ici le printemps, une recette qui normalement aurait été diminuée s'il avait été obligé d'entretenir le complexe pendant 12 mois.

Déjà en commission parlementaire en juin dernier, M. L'Espérance avait indiqué qu'il n'avait jamais souhaité acheter la montagne et que son intérêt portait sur la construction de logements de luxe, au pied des pentes. Or, explique-t-on, M. L'Espérance possède déjà amplement de terrain juste à côté du parc national.

Dans les coulisses, on indique qu'au ministère du Développement durable, Claude Béchard a dû faire revoir à la baisse les conditions qui seront posées aux différents soumissionnaires la semaine prochaine pour que le projet puisse trouver preneur.

Par exemple, il a fallu augmenter la proportion de neige artificielle acceptable. Pour calmer les environnementalistes, elle avait été fixée à un niveau irréaliste dans la soumission originale, afin de protéger la nappe de l'étang aux Cerises, principal point d'eau.

Au cabinet du ministre Béchard, Pascal D'Astous soutenait toutefois hier qu'il "n'y a eu qu'un appel d'offres, il n'y a jamais eu de première et deuxième versions".

Pas d'étonnement chez Claude Béchard quand on affirme que M. L'Espérance ne fera pas partie des investisseurs qui se montreront intéressés. "On a dit depuis le début que cet appel d'offres n'était pas fait en fonction d'un gars. L'opposition disait que c'était fait pour M. L'Espérance, cela prouve que cela n'était pas vrai", a laissé tomber M. D'Astous.

Selon le député péquiste de Verchères, Stéphane Bergeron, la rumeur voulant que M. L'Espérance abandonne ce dossier a circulé à maintes reprises au cours des derniers mois, sans pouvoir être confirmée.

"Cependant, M. L'Espérance a omis de faire préparer les verts et le terrain du golf pour l'hiver. Cela signifie qu'il y aura 250 000 $ de dépenses à faire au printemps, c'est peut-être un signe qu'il ne sera plus dans le décor", observe M. Bergeron, critique péquiste à l'Environnement. Le retrait de M. L'Espérance et son groupe "rendrait le dossier plus transparent", a-t-il ajouté.

En sortant de la course, André L'Espérance donnera une longueur d'avance au projet concocté par la MRC de Memphrémagog qui prévoit une auberge de montagne, 500 condominiums vendus ou loués, administrés par une entreprise privée.

Un des moteurs du projet, l'ingénieur Roger Nicolet, souligne que le retrait de M. L'Espérance du dossier amènerait un soupir de soulagement dans la région.

"La région n'est pas particulièrement désireuse de le voir se perpétuer à Orford. Les relations sont très mauvaises avec le milieu, à quelques exceptions près", selon M. Nicolet, qui avoue ne pas savoir si Mont-Orford inc. sera ou non sur les rangs lors de l'appel d'offres.

"On allume des cierges chaque jour pour être sûr qu'il ne soit pas dans la course", a renchéri Michel Murray, président du SCFP, dont les membres ont été mis en lock-out par Mont-Orford inc.

"M. L'Espérance a perdu de la crédibilité dans la région, tout le monde s'est senti pris en otage lors des événements récents", a souligné M. Murray.