Les vendeurs de crack sont pauvres comme Job. Les piscines tuent plus d'enfants que les armes à feu. La légalisation de l'avortement en 1973 explique la chute de criminalité qu'ont connue les États-Unis dans les années 90.

Les vendeurs de crack sont pauvres comme Job. Les piscines tuent plus d'enfants que les armes à feu. La légalisation de l'avortement en 1973 explique la chute de criminalité qu'ont connue les États-Unis dans les années 90.

Piqué ? C'est pourtant ce qu'avancent l'économiste Steven D. Levitt et le journaliste Stephen J. Dubner dans le livre Freakonomics.

Pour cet ouvrage, les auteurs ont mis la trousse d'outils de l'économiste au service du sociologue pour élucider certains mystères: comment les lutteurs sumo trichent-ils ? Pourquoi les vendeurs de crack vivent-ils chez leur mère ? ou Comment imposer une amende peut-il engendrer plus d'infractions ? Ceux qui voient là un exercice futile feraient bien de lire Freakonomics d'une couverture à l'autre.

En plus de faire la lumière sur des phénomènes sociaux importants, leurs observations dévoilent à coups de détails croustillants la vie intime de l'homo-économicus. "Tricher est un acte économique primordial: obtenir plus pour moins", écrit Dubner.

Ce qui motive la tricherie, la valeur de l'information dans une transaction et les écueils du sens commun sont autant de notions qui viennent nuancer la loi de l'offre et de la demande dans le monde contemporain.

Économiste ingénu, Steven Levitt aborde candidement les tonnes de données statistiques à sa disposition. Son scepticisme face à la sagesse populaire et son mépris pour les experts à la noix lui permettent d'explorer des liens de causalité que d'autres auraient négligés.

La thèse la plus choquante de Freakonomics est exposée au chapitre 5 : "Où sont passés les criminels ?". Levitt affirme que l'impressionnante chute du taux de criminalité observée aux États-Unis dans les années 90 est attribuable à la légalisation de l'avortement une vingtaine d'années auparavant.

Le raisonnement est le suivant : les femmes qui avortent le font généralement parce qu'elles estiment ne pas être en mesure d'élever un enfant dans des conditions de vie favorable.

Les enfants élevés dans l'indigence, la pauvreté intellectuelle et la négligence ont plus de chances de devenir des criminels.

En réduisant le nombre d'enfants voués à grandir dans ces circonstances, les mères qui ont choisi d'avorter à la suite du jugement de Roe contre Wade, ont réduit le bassin de malfaiteurs potentiels.

La controverse qui a acueilli la publication du livre en 2005 n'est pas près de s'éteindre.

Avec un exposé fort digeste de leurs démarches et des douzaines d'exemples, dont certains hilarants, à l'appui, les deux auteurs s'appliquent à déboulonner d'autres idées reçues sur le crime, l'éducation ou le marketing en immobilier. Freakonomics est un exercice de style. C'est aussi le fruit d'une rencontre entre un économiste rebelle et un journaliste à la plume provocatrice.

Dans une discipline qui n'est pas renommée pour son glamour, la créativité de Levitt et Dubner leur a valu l'attention soutenue des médias. Freakonomics entame sa 66e semaine au palmarès des meilleurs vendeurs du New York Times et le blogue des auteurs ne dérougit pas. Steven Levitt a reçu en 2003 la médaille John Bates Clark du plus brillant économiste de moins de 40 ans.