Vedette de la presse magazine à 35 ans, Yuan Xiaojuan incarnait la nouvelle Chine, urbaine et moderne, mais le cancer qui l'a foudroyée illustre le coût de la croissance pour les cols blancs chinois.

Vedette de la presse magazine à 35 ans, Yuan Xiaojuan incarnait la nouvelle Chine, urbaine et moderne, mais le cancer qui l'a foudroyée illustre le coût de la croissance pour les cols blancs chinois.

Entre octobre 2005 et juillet 2006, date du diagnostic tardif de son cancer de l'estomac, Yuan s'est littéralement tuée à la tâche, n'économisant pas ses forces dans le lancement d'une revue gastronomique pour le compte d'un groupe de presse chinois, explique son mari, Xiang Ligang, 44 ans.

«Cette période a été très fatigante, souvent elle revenait du travail à 1 ou 2 h du matin. Elle partait en reportage à l'étranger ou en Chine et souvent je lui apportais des affaires à l'aéroport parce qu'elle repartait aussitôt», raconte-t-il.

Pour lui, «le groupe de presse n'a rien fait pour alléger la charge et l'intensité de la tâche».

«Son travail est la principale raison de son cancer», affirme M. Xiang.

Si l'exemple de Yuan est extrême, de plus en plus de psychologues s'inquiètent de l'émergence en Chine d'un phénomène d'excès de travail à la japonaise.

Les cols blancs surtout

«Pourquoi tant de travailleurs sont-ils surmenés?» se demandait début mai le quotidien Les Nouvelles de Pékin dans un éditorial, citant une étude réalisée dans quatre grandes villes, dont Pékin et Shanghai, qui révèle que 70% des cols blancs sont concernés.

«Pour réussir, beaucoup font des heures supplémentaires, ce qui provoque un état de faiblesse prolongé», juge He Ke, psychologue de l'Université normale de Guizhou, selon lequel le phénomène touche surtout les médias, le secteur des technologies de l'information et les milieux scientifiques.

«Faire des heures supplémentaires est normal pour nous qui travaillons dans les technologies de l'information», témoigne Song Ming, un ingénieur de 25 ans, employé par une entreprise téléphonique chinoise à Pékin.

«Je suis censé travailler de 9h à 20h, mais je sors souvent à 22h ou 23h», dit-il. Il se souvient avoir passé une semaine entière «au bureau nuit et jour pour travailler à un programme avec seulement quatre heures de sommeil en moyenne».

Song Ming, qui explique souffrir d'insomnie, voire de «neurasthénie», «en raison de la pression au travail», reconnaît qu'il gagne bien sa vie dans une Chine tellement inégalitaire.

«Mais ce salaire, nous le gagnons au prix de notre santé», dit-il. Il explique également ne pas avoir de temps pour «trouver une amie».

Passage rapide

Un psychologue chinois, Zhang Xingui, juge cependant exagéré le rapprochement avec le Japon. Il estime que le sentiment de surmenage s'explique avant tout par le passage rapide du pays à un système capitaliste concurrentiel.

«Actuellement, en Chine il n'y a pas de phénomène d'excès de travail comme au Japon, mais comme la concurrence est de plus en plus forte, la pression pour assurer ses moyens d'existence est de plus en plus grande», juge-t-il, ce qui se traduit par des «syndromes de fatigue chronique», des «névroses» et des «dépressions».

Les accidents du travail coûtent la vie à plus de 300 personnes chaque jour en Chine, d'après le gouvernement, qui juge cette situation «inévitable» en raison de l'industrialisation du pays.