Pour collecter et distribuer 50 millions de dollars l'an dernier, Centraide du Grand Montréal a pu compter sur une centaine d'employés, 22 000 bénévoles et 200 000 donateurs. Son outil essentiel ? Le capital de confiance hors du commun que l'organisme a acquis dans le public, explique Pierre-Marie Cotte, vice-président philanthropique, au service de l'organisme depuis 18 ans.

Pour collecter et distribuer 50 millions de dollars l'an dernier, Centraide du Grand Montréal a pu compter sur une centaine d'employés, 22 000 bénévoles et 200 000 donateurs. Son outil essentiel ? Le capital de confiance hors du commun que l'organisme a acquis dans le public, explique Pierre-Marie Cotte, vice-président philanthropique, au service de l'organisme depuis 18 ans.

Q: Au lieu de mettre en avant le capital que vous collectez et distribuez, vous parlez avant tout de " capital de confiance ". Pourquoi ce choix ?

R: La confiance, c'est un motclef dans ma vie personnelle comme au travail. Ce n'est pas quelque chose qui est donné au point de départ. La confiance se mérite ; elle se bâtit sur la transparence, sur des relations continues, sur le respect de la parole donnée. C'est une série de petites attitudes les unes derrière les autres qui font la différence. Et puis elle s'incarne aussi dans une manière de travailler, avec une équipe de direction, de gestion, du personnel de soutien, des professionnels C'est tout ça mis bout à bout qui fait le lien entre Centraide et les gens.

Q: Comment avez-vous acquis personnellement cette confiance ?

R: Ironiquement peut-être à cause d'un manque de confiance en moi quand j'étais plus jeune ! Comme toute ma génération, j'ai connu la rupture des années 1970. J'ai fait toutes sortes de parcours, d'expériences, pour trouver un sens à la vie. Et c'est à force de chercher que j'ai un jour réalisé que de donner, c'est essentiel. Parfois, quelqu'un voit en nous un potentiel qu'on n'imagine même pas avoir. J'ai eu cette chance. Si on ose dire oui, si on dépasse les premières craintes, la vie nous plonge alors dans bien des découvertes, pourvu qu'on se laisse apprendre ce qu'on a à faire, sans prétendre tout savoir.

Q: D'où vient la confiance du grand public à Centraide, dans notre monde davantage axé sur l'individualisme que sur l'altruisme?

R: Centraide est un rassembleur : on met autour de la même table les gens d'affaires, les syndicats, les lieux communautaires, l'état, la ville, les citoyens, les employés Tous, ensemble, on regarde les fragilités de notre société, ce qu'on doit résoudre ensemble.

Il y a quelques années, nous avons produit un document, Le don solidaire. C'était le fruit de longs mois de réflexions menées avec une équipe élargie, dont Jacques Bougie, l'ancien chef de la direction d'Alcan. Dans le monde philanthropique, les donateurs désirent de plus en plus un lien direct avec la cause qu'ils soutiennent. Ils veulent donner pour tel organisme, telle cause, parfois même telle personne. On a réfléchi pour voir si c'est cela qu'il fallait qu'on fasse. Et nous avons conclu qu'un don à Centraide est un don sans attache. Chez nous, on confie un don à quelqu'un l'organism en qui on a confiance.

Parce que Centraide, c'est un outil de solidarité collective. Ce n'est pas un véhicule pour afficher un choix personnel d'entraide, mais plutôt une mise en commun, une vision commune de la société civile. Pendant des années, c'est l'Église qui a été le moteur, le ciment, le bâtisseur de la société francophone. Ça nous a donné des hôpitaux, des écoles, des groupes communautaires. Après, c'est l'État providence qui a joué ce rôle : on a cru que l'État pouvait prendre toute la place en ce domaine. Mais aujourd'hui il se retire : la responsabilité de réinvestir dans la collectivité repose sur la société civile.

Q: Mais ne serait-il pas plus facile de recevoir un chèque de 50 millions de dollars du gouvernement ?

R: Si c'était le cas, nous n'aurions pas l'impact que nous avons dans la société. Parce que Centraide fait beaucoup plus que des collectes de fonds. L'avantage qu'on a, quand on doit solliciter les gestes des donateurs, c'est qu'on doit les sensibiliser aux problèmes de leur ville. On jette alors des ponts entre le secteur communautaire et le reste de la société. Par exemple, chaque année, Centraide aide à organiser 900 conférences en milieu de travail avec des responsables d'organismes. C'est une façon extraordinaire de cimenter le tissu social. Nous amenons aussi des gens d'affaires dans des organismes communautaires, pour leur faire sentir qu'il existe une forme d'entrepreneuriat social, dont l'objectif n'est pas de développer des produits mais des gens. Resto-Plateau, par exemple, c'est un budget de trois millions de dollars. Ce n'est pas rien!

Q: Quels outils vous êtes-vous donnés pour incarner cette vision d'une éthique collective ?

R: À Centraide, on a institué les rencontres du jeudi. On souffre beaucoup de réunionite dans le monde du travail. Mais en même temps, c'est important de se donner des rituels, des occasions de partager certaines perceptions, d'apprendre à écouter ce qui se passe dans la tête des collègues. Un jeudi sur deux, nous avons donc un comité des opérations. Une rencontre de 8h45 à midi où se retrouvent tous les directeurs: campagnes de financement, communications, ressources humaines, allocations, etc. En quelques années, on a vu des équipes qui travaillaient parfois dans un esprit de revendication évoluer vers une culture de coopération. Le viceprésident aux opérations a eu le génie de rassembler les gens pas seulement pour écouter les difficultés des uns et des autres mais pour former des sous-comités chargés de résoudre les questions soulevées. Avec le temps, nous avons maintenant conscience qu'une solution est bonne si elle n'a pas d'impacts négatifs sur d'autres secteurs de l'organisation. L'autre jeudi, nous menons en alternance le même type de rencontre au niveau de chaque service. La direction générale, se réunit aussi, avec Michèle Thibodeau-DeGuire, notre présidente et directrice générale. Ce processus a libéré du temps pour travailler sur la mission et sur les grands enjeux de l'organisme, et plus seulement sur les problèmes opérationnels.

Q: Personnellement, quels sont les comportements éthiques que vous adoptez ?

R: J'ai la chance le privilège de travailler dans une organisation qui touche les êtres humains dans ce qu'ils ont de plus précieux: leur estime d'euxmêmes. C'est en même temps une grande responsabilité. Pour moi, j'ai trouvé que le fait d'être en forme physiquement dans ma vie, mais aussi psychologiquement et spirituellement, est une clef importante pour bien gérer. On l'oublie trop souvent, mais la forme physique, l'oxygénation de notre cerveau, c'est la base de notre existence.

Donc je suis un marcheur. La marche est un moment sacré pour moi. Je sors marcher tous les matins de l'année, en me réveillant même par grand froid. Je pars un peu endormi mais le corps s'éveille en marchant, et la marche harmonise ma respiration. Mes pensées vont dans tous les sens ; des choses émergent une parole pour mon fils, que je n'avais pas trouvée hier une autre avenue pour aborder un problème au travail Parfois aussi, un grand silence se fait. Avec la marche, c'est comme si je jetais une ancre à la racine même de mon être. Ça me donne beaucoup plus de souplesse pour aborder tout ce qui va vite me capter durant la journée. Je pense aussi souvent à une des phrases que me disait mon père, qui était mécanicien: "Quand tu forces après quelque chose, c'est que tu n'as pas le bon outil "!

D'après une entrevue radiophonique avec Thierry Pauchant, professeur titulaire, Chaire de management éthique, HEC Montréal (Chaque jeudi, 19h30 20h30, Radio Ville-Marie). Pour écouter l'intégrale de l'entrevue : www.éthiquesautravail.com

Chaque lundi, en collaboration avec HEC Montréal, nous présentons des extraits d'entrevues réalisées avec des gestionnaires d'ici qui nous parlent de leur vision des éthiques au travail.