Cachez ce sein que nous ne saurions voir chez Alimentation Couche-Tard.

Cachez ce sein que nous ne saurions voir chez Alimentation Couche-Tard.

C'est en quelque sorte ce qu'exige une association américaine de militants chrétiens qui vient d'entrer en guerre contre la société lavalloise, propriétaire de quelque 3000 dépanneurs aux États-Unis.

La Florida Family Association a lancé la semaine dernière une campagne appelant au boycottage des dépanneurs Circle K aux États-Unis, détenus par Alimentation Couche-Tard.

«Jusqu'à ce qu'ils arrêtent de vendre des magazines pornographiques comme Penthouse et Playboy», a indiqué l'association sur son site web et dans un courriel expédié à ses dizaines de milliers de fidèles.

«Ces magazines ne sont pas illégaux. Et Couche-Tard a le droit de vendre tout ce qu'il veut si c'est légal», a affirmé le directeur exécutif de l'association, David Caton, interrogé par La Presse.

«Mais nous avons le droit de dire que ce matériel est dégradant à l'égard des femmes et fait la promotion de comportements irresponsables. Le droit d'éduquer les gens et de les encourager à magasiner ailleurs», a-t-il ajouté.

La Florida Family Association a été fondée par M. Caton en 1987 dans le but d'améliorer et de protéger «l'environnement moral» aux États-Unis. Depuis, avec la collaboration enthousiaste de nombreuses autres organisations de la droite chrétienne, elle s'est dotée d'un impressionnant tableau de chasse.

Elle se targue d'avoir convaincu près de 200 000 dépanneurs et stations-service de retirer les magazines comme Playboy de leurs tablettes. Non seulement en Floride, mais d'un bout à l'autre des États-Unis.

Chez Couche-Tard, on marche visiblement sur des oeufs. Sylvain Aubry, secrétaire corporatif de l'entreprise, était hier avare de commentaires à ce sujet. Il a dit vouloir éviter de se lancer dans un «débat public».

Il a néanmoins souligné que l'entreprise a adopté «une façon de vendre responsable» au pays du très conservateur George W. Bush. «Le magazine est vendu à l'arrière des comptoirs et seul le titre apparaît. Il n'y a pas de nudité affichée publiquement» aux États-Unis, a indiqué M. Aubry.

Cet accès plus restreint qu'au Canada, «c'est la façon de faire considérant les valeurs, je présume, a-t-il précisé. Couche-Tard est réputé pour adapter ses produits aux marchés locaux.»

L'adaptation risque-t-elle de se traduire d'ici peu par l'élimination des revues osées dans ses établissements américains, comme le réclame la droite religieuse?

M. Aubry n'a pas voulu se prononcer. On sait toutefois que Couche-Tard est en pleine croissance sur le marché américain. Le PDG de la société, Alain Bouchard, a récemment dit vouloir faire passer «de 3000 à 15 000» le nombre de ses dépanneurs aux États-Unis.

M. Caton, pour sa part, s'est dit confiant de remporter cette partie de bras de fer. Il a expliqué que l'impact de ses messages est «multiplié» par le puissant réseau d'organisations de chrétiens conservateurs. Son appel au boycottage lancé la semaine dernière sera, selon lui, entendu par «des millions de personnes».

Notamment par l'intermédiaire de l'influente organisation évangélique Focus on the Family, fondée par James Dobson. Il y a deux ans, ce groupe avait accusé Bob l'éponge de faire la promotion de l'homosexualité. Il ciblerait dorénavant Couche-Tard.

Et l'entreprise, qualifiée de «plus important réseau de dépanneurs en Amérique à vendre de la pornographie», fera les frais d'une campagne encore plus vigoureuse dès septembre, a annoncé M. Caton.

Un dépliant sera alors distribué dans les foyers et les entreprises proches des dépanneurs Circle K «pour les encourager à dépenser leur argent dans des magasins qui ne vendent pas ce matériel».

Les attaques de l'association floridienne ne surprennent pas le directeur de la Chaire d'études politiques et économiques américaines à l'Université de Montréal, Pierre Martin.

«Ce n'est pas un procédé qui est nouveau. Il y a certains distributeurs qui se sont laissé influencer de cette façon-là, a-t-il signalé. Je pense en particulier à Wal-Mart.»

À son avis, Couche-Tard est «doublement vulnérable» aux États-Unis en raison de son statut particulier. «Dans l'environnement actuel, les étrangers n'ont pas la cote, dit-il. Le fait d'être une chaîne étrangère d'un pays reconnu - et généralement critiqué - pour son libéralisme, que les conservateurs jugent excessif, donne une meilleure prise.»