Le fait que notre dollar batte des records ne veut pas dire qu'il est en santé. Notre devise est gonflée artificiellement, dopée à l'EPO. Et ce qui est vrai pour des athlètes l'est aussi pour une économie: le dopage rend malade.

Le fait que notre dollar batte des records ne veut pas dire qu'il est en santé. Notre devise est gonflée artificiellement, dopée à l'EPO. Et ce qui est vrai pour des athlètes l'est aussi pour une économie: le dopage rend malade.

Une fois passés le moment de fierté un peu chauvine et le sentiment d'euphorie que procure un dollar à 1,10 $ US, il faut constater que les inconvénients dépassent très largement les avantages.

Cela profite aux consommateurs, surtout si les prix finissent par refléter les taux de change, cela réduit le coût des investissements, cela décourage les prises de contrôle étrangères.

Mais la force du dollar pénalise les exportations dans un pays qui dépend de son commerce extérieur. Il est temps qu'Ottawa siffle la fin de la récréation, parce que la situation que nous vivons est artificielle, malsaine et très instable.

Nous avons déjà eu un débat sur les effets d'une appréciation de la devise. Du début 2002 au début 2007, le dollar canadien a grimpé de 40%, passant de 0,63 à 0,86$US. Cela a fait très mal aux industries exportatrices. Mais on leur a dit de s'ajuster.

Parce que le taux de change était artificiellement bas, que cela procurait un faux sentiment de sécurité, et que la remontée du dollar ramenait celui-ci à un niveau naturel, qui reflétait la situation financière du Canada et le dynamisme de son économie.

Mais on ne peut plus dire la même chose parce que la hausse actuelle n'est pas de même nature. Par sa brutalité: un bond de 28% depuis janvier, dont plus de la moitié depuis août.

Par ses causes: il ne s'est rien passé cette année du côté de l'économie canadienne pour justifier la hausse; pas de croissance exceptionnelle, pas de succès remarquable.

Le dollar canadien monte parce que le dollar américain est faible. Il est vrai que l'économie canadienne se porte bien, mais pas au point de nous mener au paradoxe où notre dollar dépasse solidement celui des États-Unis, même si nous sommes moins performants et moins productifs.

Pays producteur de ressources

Il est vrai que le dollar canadien a davantage progressé par rapport au dollar US que les autres devises, mais cela s'explique moins par des facteurs économiques tangibles que par l'attrait qu'exerce le Canada comme pays producteur de ressources. Cet intérêt a manifestement nourri une fièvre spéculative.

Ce qui fait grimper le dollar, surtout depuis qu'il a atteint la parité, c'est la spéculation. On assiste donc à une déconnexion entre l'économie réelle et l'économie virtuelle.

Le résultat, c'est une situation de grande instabilité, qui rend toute planification difficile. On demande aux manufacturiers de s'ajuster. Mais à quoi? Ils ne peuvent pas savoir jusqu'où grimpera le dollar et combien de temps il restera élevé.

Cela met en relief le fait que le Canada est une petite économie ouverte, dont la monnaie est vulnérable aux jeux du taux de change. C'est ce qu'abordent Pierre Fortin et Marc Van Audenrode, dans cette même page.

Voilà pourquoi on ne peut pas dire, comme on le fait à Ottawa, qu'il faut laisser jouer le marché, parce que le marché, du moins à court terme, ne nous mène pas vers une situation d'équilibre. C'est plutôt laisser l'économie canadienne à la merci de spéculateurs à Hong-Kong ou à Chicago.

D'autant plus que les mouvements de capitaux, aussi irrationnels soient-ils, ont un effet sur l'économie réelle. C'est un peu comme un tsunami: l'eau qui déferle disparaît rapidement, mais ses ravages restent longtemps.

La spéculation qui fait grimper le dollar ne durera qu'un temps, mais les usines resteront fermées. Depuis le début de l'année, le Québec a encore perdu 36000 emplois manufacturiers.

À cela s'ajoute un argument d'équité. La force du dollar est largement provoquée par le boom pétrolier de l'Ouest: il crée des pressions inflationnistes que combat la Banque du Canada par des taux plus élevés, et il nourrit l'intérêt spéculatif pour notre dollar.

Mais les dommages collatéraux sont en Ontario et au Québec, dont les secteurs manufacturiers sont malmenés.

Il serait donc normal que le gouvernement central utilise des ressources produites par cette prospérité pour en contrer les effets négatifs.

À plus long terme il faut certainement poursuivre le débat que mènent Pierre Fortin et Marc Van Audenrode pour stabiliser le taux de change. Mais en attendant, la Banque du Canada ne peut pas se borner à ne tenir compte que de l'inflation.

Une baisse des taux d'intérêt au Canada pourrait contribuer à stabiliser le mouvement de hausse. Et le gouvernement fédéral doit intervenir énergiquement pour soutenir l'industrie canadienne à traverser cette crise avant qu'il ne soit trop tard.