Difficile d'imaginer le Port de Montréal sans Dominic Taddeo. Et Dominic Taddeo sans le Port de Montréal. Après y avoir passé 33 ans, dont 23 à titre de président-directeur général, l'homme a annoncé sa retraite pour cet automne. La fin?

Difficile d'imaginer le Port de Montréal sans Dominic Taddeo. Et Dominic Taddeo sans le Port de Montréal. Après y avoir passé 33 ans, dont 23 à titre de président-directeur général, l'homme a annoncé sa retraite pour cet automne. La fin?

Ses propos laissent entendre que l'on pourrait bien croiser cette figure familière et exubérante à nouveau...

La plupart des gens confrontés à un trou de mémoire vous diront quelque chose comme «ça va revenir» en passant à autre chose - et en oubliant, la moitié du temps, d'y revenir.

Pas Dominic Taddeo. Un mot qui lui échappe et le voici qui se déplie comme un ressort et sort en coup de vent de son bureau. De l'autre côté de la porte, on l'entend faire irruption dans ceux de ses collègues à la recherche du renseignement manquant.

Il revient quelques secondes plus tard du même pas affairé. Il a votre réponse, et continue exactement là où il s'était interrompu.

À 68 ans, le PDG du Port de Montréal a des airs de gamin hyperactif. Interrogez-le sur ses projets de retraite et il vous dressera du même souffle un historique des grandes lignes maritimes avant de vous expliquer l'art de charger un navire, en faisant par la bande une sortie contre les «prophètes de malheur» qui ne partagent pas son enthousiasme.

Le tout dans un joyeux mélange de français et d'anglais ponctué d'expressions italiennes.

À le voir ainsi aller, s'agitant et parlant de son port avec encore autant de passion, on ne peut qu'être songeur. Que diable fera cet homme à la retraite? Impossible de l'imaginer, pantoufles aux pieds devant un café fumant, en train de se prélasser au son de ses disques préférés - Ginette Reno et Frank Sinatra, pour la petite histoire.

«Je ne serai pas le genre de personne qui va se lever chaque matin pour aller au terrain de golf», avoue-t-il d'emblée. Et s'il a acheté une résidence en Floride «pour se préparer», il admet qu'il ne se «voit pas aller passer ses hivers là-bas dans les prochaines années».

Mais alors? «On m'a dit que le téléphone allait sonner», lance-t-il, énigmatique. Il refusera d'en dire plus. Une chose est claire, cependant: il n'a pas l'intention de rester inactif.

«Dans ma vie, si je n'ai pas de stress, j'en crée», dit-il. Il suffit de jeter un coup d'oeil à sa feuille de route pour s'en convaincre. Petit-fils d'immigrants italiens ayant grandi à Ville-Émard, Dominic Taddeo se joint à la Société du port de Montréal en 1974 à titre de directeur des finances, après avoir été notamment chef comptable chez Pratt & Whitney et trésorier adjoint pour l'agence maritime McLean Kennedy. Son mandat: mettre de l'ordre dans les finances. Il s'y attelle avec un acharnement qui en surprend plus d'un.

«Il y a des comiques qui me trouvaient trop pressé, se rappelle-t-il. Ils me disaient: Taddeo, ici, c'est le gouvernement. J'ai dit non! Je suis un homme d'affaires, et je vais traiter le port comme une entreprise privée.»

Cap sur les conteneurs

Six ans plus tard, l'agence fédérale devient rentable; elle ne retombera jamais dans le rouge.

Cela ne se fait pas sans mal: lorsque M. Taddeo prend la barre des finances, l'Administration portuaire compte 1218 travailleurs. Dix ans plus tard, ils sont 740. On compte aujourd'hui 325 employés.

Dominic Taddeo fonde un département d'études économiques, lance une série d'investissements massifs dans les infrastructures. Mais sa grande vision sera sans contredit de faire passer le port de Montréal d'un port céréalier à un terminal à conteneurs de calibre international - Montréal est aujourd'hui à égalité avec New York comme leader nord-américain du trafic conteneurisé.

À l'époque, pourtant, le pari du conteneur est risqué. À plus de 1500 kilomètres de l'océan, plusieurs considèrent Montréal comme un bien mauvais cheval.

En 1971, une étude fédérale avait même déjà annoncé son déclin: au fur et à mesure que les navires grossiront, prédit-elle, ils délaisseront Montréal au profit des ports côtiers comme Halifax.

Dominic Taddeo ne fléchit pas. Halifax, soutient-il, est trop loin des marchés, et Montréal a tout pour devenir une plaque tournante internationale.

«À l'époque où j'étais directeur des finances, les gens venaient voir le président et disaient Ton Italien là, ton Taddeo, il pousse pas mal. Le président les envoyait dans mon bureau. Ils débarquaient tous en criant Taddeo, are you off your tree? Et moi je leur répondais What do you mean am I off my tree?»

Dominic Taddeo les appelle «les mythes du Port de Montréal». Il les énumère du ton de celui qui les connaît trop bien pour les avoir combattus toute sa vie.

«Le port est trop loin. Les bateaux sont trop gros. Le port a mauvaise réputation. Il n'est pas fiable. Il y a du vol, des grèves, du crime organisé. Ce n'est pas une industrie moderne. Ça dessert uniquement l'industrie locale.»

«On a même dit qu'on n'était pas intéressés à assurer la sécurité, s'emporte-t-il à ce propos. Voyons donc! C'est assez pour faire pleurer un adulte comme moi, ça.»

Mais pour faire sortir le petit Italien de ses gonds, le meilleur truc est encore de lui demander comment il occupe ses hivers.

«Il y a encore des gens qui me disent: Taddeo, t'es ben toi, le port est fermé en hiver, tu peux aller dans le Sud Ben non! Le port est ouvert, hurle-t-il. C'est pour ça que je donne la Canne à pommeau d'or!»

Impossible de ne pas aborder la célèbre cérémonie. Que Dominic Taddeo a rehaussé, encore ici, de sa touche bien personnelle. La tradition est de remettre la fameuse récompense au capitaine du premier navire à atteindre le port chaque année. Lui s'est mis en tête de faire son discours de bienvenue. dans la langue maternelle du capitaine.

Il exhibe un cahier à anneaux contenant des feuilles lignées couvertes de son écriture. Ce sont les discours que Dominic Taddeo a écrits - phonétiquement - en grec, en croate, en russe, en hindi, avec l'aide d'une firme de traduction.

«Je me suis pratiqué, j'ai des cassettes», dit-il, affirmant avoir décerné 24 cannes en 11 langues différentes.

C'est avec la même passion que le PDG s'élèvera contre les ambitions des promoteurs immobiliers et des divers ordres de gouvernement qui convoitent les terrains du Port, s'en faisant un intraitable défenseur.

«Il y a des gens qui disent que je défends mes intérêts. Non! C'est parce que j'y crois sincèrement», dit-il.

À l'aube de la retraite, il dit n'avoir aucun regret. Il a même de bons mots pour les fonctionnaires d'Ottawa, avec qui il a dû travailler étroitement à l'époque où les administrations portuaires du pays étaient davantage centralisées.

«Il y a des gens qui disent qu'ils ne sont pas parlables. J'ai toujours dit: Voyons donc. Certainement qu'ils sont parlables! Si tu leur expliques le gros bon sens, ça va peut-être prendre un peu plus de temps, mais ils vont finir par comprendre.»

Après une carrière de 33 ans au Port de Montréal, que pense-t-on aujourd'hui de Dominic Taddeo?

«Il y a des gens qui pensent que je suis un petit dictateur? interroge-t-il d'un air amusé. Je ne sais pas. Ils savent que je suis passionné, en tout cas. Ils se disent que le Port de Montréal, c'est mon bébé. Et c'est sûr que ça a été ma vie.»