Henry Mintzberg www.mintzberg.org, le célèbre professeur de management de l'Université McGill propose aujourd'hui des pistes pour améliorer le système de santé du Québec.

Henry Mintzberg www.mintzberg.org, le célèbre professeur de management de l'Université McGill propose aujourd'hui des pistes pour améliorer le système de santé du Québec.

«Les gestionnaires de la santé doivent favoriser la communication et la coordination sur le terrain», dit-il.

Q. Quand vous parlez de coordination sur le terrain, à quoi pensez-vous?

Elle existe déjà dans le domaine de la santé, dans un certain sens. Chirurgiens, anesthésistes et infirmières, par exemple, connaissent parfaitement le rôle de chacun pendant une opération et ils posent les gestes appropriés sans avoir à se parler beaucoup.

Cette forme de coordination, qui repose sur la standardisation des habiletés et du savoir, est une des grandes forces du système de santé. C'est en même temps un de ses grandes faiblesses dans la mesure où les habiletés et le savoir sont compartimentés par professions et même par spécialités.

Pour les patients, les problèmes de coordination se manifestent avant et après l'opération. Ils défilent devant une série de professionnels à qui ils doivent, à chaque fois, raconter leur histoire parce que ces professionnels ne partagent pas l'information.

À leur sortie de l'hôpital, ces mêmes patients se heurtent à nouveau à cette compartimentation des habiletés et du savoir de chaque groupe de professionnels qu'ils consultent.

Q. Le rôle des gestionnaires n'est-il pas alors d'organiser cette coordination?

La coordination par le haut est beaucoup moins adaptée dans le domaine de la santé que dans des organisations où l'on retrouve, par exemple, des chaînes de montage.

En santé, il est difficile de coordonner dans un bureau ce qui se passe sur le terrain.

Les professionnels ne sont pas enthousiastes devant ce genre de coordination. On ne pas gérer au-dessus et en dehors d'eux. On n'a pas le choix de le reconnaître.

Les professionnels doivent prendre eux-mêmes la responsabilité de la coordination, ce qui va demander des changements importants dans la gestion de la santé.

Au Québec, on a récemment regroupé tous les établissements d'un même territoire sous une administration commune. Cette réorganisation va-t-elle augmenter la coordination sur le terrain? Chose certaine, elle a accru le contrôle, plus précisément le contrôle à distance.

Or, un hôpital, comme un centre de soins prolongés ou un CLSC, ne peuvent être gérés de l'extérieur.

En ajoutant un palier administratif au-dessus de ceux qui existent déjà, on ajoute une case dans l'organigramme mais on n'élimine pas la fragmentation et les murs érigés entre chaque case.

En santé, beaucoup de coordination doit se faire entre les acteurs et elle doit être horizontale.

Q. Comment envisagez-vous cette collaboration dans le contexte de la santé?

Les solutions aux problèmes viennent des gens actifs sur le plancher et qui connaissent intimement leur environnement.

J'ai en tête une chaîne de magasins dont le PDG avait ordonné à chaque gérant de couper plusieurs postes par succursale. Dans l'une d'elle, le gérant a dit aux employés: «Je dois couper des postes, s'il vous plaît, décidez comment ».

Une femme a choisi de devancer son congé de maternité. Une autre a proposé de travailler à temps partiel. En bout de ligne, les postes ont été coupés et le moral des employés s'est amélioré.

Un tel modèle de gestion est particulièrement approprié au monde de la santé, qui est composé d'hommes et de femmes qui ont à coeur de servir les citoyens, même au prix de grands sacrifices personnels.

C'est aussi un univers de gens scolarisés, qui partagent le même désir de faire avancer le savoir pour améliorer la pratique et qui sont capables d'une grande cohésion en situation d'urgence et de crise. Ils savent alors faire des ajustements mutuels parce qu'ils sont animés par un objectif commun.

Ils hésitent à le faire au quotidien et ça, c'est quelque chose qu'il faut absolument changer.

Q. Les gestionnaires n'ont donc aucun rôle dans la coordination sur le terrain?

Au contraire, leur travail est déterminant pour encourager la coordination. Pas pour la faire. C'est une des raisons qui a conduit les facultés de gestion et de médecine de McGill a créer la Maîtrise internationale pour le leadership en santé (International Masters for Health Leadership). Avec ses participants, nous examinons trois rôles pour les gestionnaires de la santé.

Le premier rôle est justement de faciliter la coordination entre les différents groupes de «gérés».

Il y a quelques années, j'ai observé le dénouement d'une crise de l'urgence dans un grand hôpital montréalais. Pendant longtemps, trois comités sectoriels de médecins, d'infirmières et de gestionnaires avaient, séparément et sans succès, chercher à la résoudre.

Quand le ministère a menacé de couper les budgets si la crise n'était pas réglée, la direction a créé un comité regroupant des médecins, des infirmières et des gestionnaires. Tout est rentré dans l'ordre à une vitesse étonnante.

Un deuxième rôle des gestionnaires consiste à défendre et promouvoir leur institution auprès des bailleurs de fonds et dans leur communauté.

Leur troisième rôle touche les décisions qui concernent leur organisation. Encore là, il consiste moins à utiliser leur autorité pour faire des choix qu'à assurer que le processus qui conduit aux décisions mette à contribution les gens concernés.

Q. Vous enseignez à des gestionnaires de la santé. Qui sont-ils et que leur apprenez-vous?

Parmi les 18 participants et participantes à la Maîtrise internationale pour le leadership en santé, 14 sont médecins, deux sont infirmières et deux ont des doctorats.

Ils occupent tous les postes de direction dans des hôpitaux, en santé communautaire, dans des administrations publiques ou dans des universités. Ils travaillent dans six pays: le Canada, les États-Unis, le Koweït, l'Ouganda, l'Angleterre et la Suisse.

Sholom Glouberman, le directeur de ce programme, est un philosophe qui travaille aussi dans un hôpital, et j'ai une formation en génie...

Comme je le dis sur le site internet www.imhl.ca, notre objectif est de contribuer au changement, non seulement dans la formation en santé, mais dans les systèmes eux-mêmes, en bâtissant un forum continu de réflexion et d'échanges afin de faire avancer les meilleures pratiques de leadership développées dans tous les aspects de la santé, partout à travers le monde.

Lisez la première partie de l'entrevue avec Henry Mintzberg présentée samedi dernier:

Santé: c'est l'administration qui est malade