Devant la controverse, les pétrolières ont battu en retraite mercredi.

Devant la controverse, les pétrolières ont battu en retraite mercredi.

Quelques heures avant une rencontre convoquée par le gouvernement Charest, Esso a réintroduit 1,3 cent d'écart entre ses prix québécois et ontariens, un mouvement suivi par l'ensemble des raffineurs sur le marché québécois.

«Les gens d'Esso ont fourni les composantes de leurs structures de prix, et rien ne montre que cette pétrolière prélève une redevance pour le Fonds vert», a soutenu en début d'après-midi hier Matthieu Saint-Amand, porte-parole du ministre québécois des Ressources naturelles, Pierre Corbeil.

Quant aux fluctuations de prix survenues entre la fin décembre et le début janvier, «la Régie de l'énergie sera chargée d'examiner ce qui s'est passé», a poursuivi M. Saint-Amand.

Il avouait cependant ne pas savoir si son patron avait été informé du mouvement des prix à la rampe quelques heures plus tôt.

Mercredi matin, alors qu'habituellement les fluctuations entre les deux marchés sont parallèles, Shell décidait de baisser de 0,90 cent le litre le prix à la rampe pour le Québec, alors qu'elle devait hausser de 0,40 cent le litre le prix de son produit en Ontario.

M. Corbeil a rencontré mercredi le vice-président de l'Impériale à Toronto, Robert Théberge, celui qui avait reconnu dans une entrevue à La Presse, la semaine dernière, que les pétrolières s'étaient «protégées» en introduisant dès le début de 2007 une marge supplémentaire de 1,3 cent le litre dans le prix à la rampe au Québec.

Il s'agissait de prévoir l'impact de la facture du plan vert annoncé par Québec en juin 2006, une facture de 200 millions. L'Institut des produits pétroliers avait évalué à 1,3 cent le litre l'impact de cette nouvelle taxe pour les grossistes.

Mercredi, M. Théberge s'est refusé à tout commentaire en attendant de voir ceux du ministre Corbeil sur cette rencontre. Les changements de prix imposés aux rampes à minuit mercredi «ne sont pas liés à la rencontre, mais aux conditions du marché», a soutenu M. Théberge.

Mardi, le porte-parole de l'Institut des produits pétroliers, Carol Montreuil, expliquait qu'à son avis, en montant ses prix la semaine dernière, « l'Impériale a clairement tenté quelque chose ». Mais les prix fixés depuis la semaine dernière, indiquent « que ce qu'ils ont essayé n'a pas fonctionné ».

M. Montreuil avait au préalable discuté avec M. Théberge, qui lui avait confirmé la teneur des propos rapportés par La Presse. Selon les explications fournies par M. Théberge, pour Esso (l'Impériale) l'absence de garantie que cette « taxe verte » ne serait pas rétroactive forçait les raffineurs à l'appliquer dès le début de 2007.

«Les autres raffineurs ont suivi. On ne peut pas leur imputer d'intentions. Ils ont pu emboîter le pas à un concurrent qui commençait quelque chose, sans arrière-pensée, sans qu'on parle de taxe verte », explique le porte-parole de l'Institut. Il faudrait voir les fluctuations sur une longue période pour voir la vraie tendance, a ajouté M. Montreuil.

Recours collectif

Leader du mouvement Essence à juste prix, Frédéric Quintal a joint La Presse pour vérifier si un enregistrement avait été fait de cette entrevue avec le porte-parole d'Esso. «C'est extrêmement rare que les pétrolières lèvent ainsi le voile sur ce qui motive leurs changements de prix», explique-t-il.

Une Montréalaise, Catherine Savoie, déposait d'ailleurs hier en Cour supérieure un recours collectif soutenant que les pétrolières s'étaient concertées pour imposer tout de suite la «taxe verte» pour combattre les gaz à effet de serre. Cette majoration est «illégale» et «injustifiable» parce qu'elle n'était pas imposée encore par le gouvernement.

Le recours affirme que les pétrolières «ont agi de manière concertée afin de refiler l'intégralité de la redevance à leurs clients», indique la procédure. Selon l'avocat Philippe Trudel, c'est environ 5 millions par semaine qu'engrangeraient les pétrolières en imposant prématurément cette taxe verte.

Grâce aux médias

À l'Association des indépendants du pétrole – les petites bannières qui s'approvisionnent aux rampes des multinationales –, on pavoisait hier.

«On assiste à un recul des pétrolières. Depuis quelques heures aux rampes elles ont réintroduit une différence de 1,3 cent ce matin (mercredi), les écarts plus normaux entre les prix à Montréal et de l'est du Canada sont revenus », a dit Sonia Marcotte, directrice de l'Association. Avant toute taxe, le prix à la rampe était de 48,4 cents le litre à Montréal et de 49,5 cents le litre à Toronto, hier matin.

Sur cinq ans, a-t-elle vérifié, la différence moyenne des prix entre Montréal et Toronto est de 0,9 cent, en faveur du Québec. Sur les 13 dernières années, le prix à Montréal est en moyenne moins élevé de 1 cent le litre.

«Toutes les grandes pétrolières avaient suivi le mouvement amorcé par Esso la semaine dernière», insiste-t-elle.

La Presse avait révélé ce mouvement samedi. « Sans l'intervention des médias, les Québécois auraient payé pour une surtaxe dont le gouvernement soutient qu'elle ne s'applique pas encore », a souligné Mme Marcotte.

Au passage, elle souligne que Québec fait fausse route avec sa loi, qui prévoit que tous les détaillants d'essence devraient prélever cette redevance. Quand elle s'appliquera – pas avant avril, selon le cabinet de M. Corbeil –, elle devrait être prélevée à la rampe, pour éviter que les détaillants (et les consommateurs) ne passent deux fois à la caisse, explique-t-elle.

Pour M. Montreuil, la différence moyenne entre Montréal et Toronto était de 0,7 cent en faveur du Québec en 2006. Pour les huit premiers jours de l'année, la moyenne à Montréal était de 0,1 en bas de Toronto, ce qui laisse selon lui une différence de 0,6 cent.