La population du Québec vieillit. Faut-il s'en inquiéter? Au cours des prochaines semaines, nos collaborateurs de HEC Montréal analyseront les effets de ce phénomène sur la gestion des organisations publiques et privées.

La population du Québec vieillit. Faut-il s'en inquiéter? Au cours des prochaines semaines, nos collaborateurs de HEC Montréal analyseront les effets de ce phénomène sur la gestion des organisations publiques et privées.

Depuis des années, les oiseaux de mauvais augure se font l'écho des préoccupations sans cesse grandissantes des gestionnaires qui craignent les conséquences du vieillissement de la population active. Les questions se font alarmantes: les organisations pourront-elles remplacer les personnes qui partent à la retraite?

La pénurie de main-d'oeuvre deviendra-t-elle un frein à la croissance de nos entreprises? Le départ des baby-boomers sera-t-il la cause de la disparition de compétences essentielles dans les entreprises? Les conflits intergénérationnels paralyseront-ils le fonctionnement de nos institutions?

Si noir que ça, le tableau?

Certes, les chiffres sont inquiétants. L'Institut de la statistique du Québec prévoit que d'ici 2008, le nombre de personnes entrant sur le marché du travail n'atteindra que 80% du nombre de sortants potentiels. Il est donc clair que les personnes qui partiront à la retraite ne pourront être remplacées en nombre égal.

Mais ce constat est-il nécessairement annonciateur de jours sombres pour l'économie québécoise? Le vieillissement de la main-d'oeuvre n'est-il pas, au contraire, une formidable opportunité pour les entreprises comme pour certains travailleurs?

Incontestablement, la main-d'oeuvre sera moins nombreuse, mais à bien des égards, une partie des jeunes qui entrent aujourd'hui sur le marché du travail sont mieux armés pour affronter le monde.

Plus scolarisés que les générations qui les ont précédés, élevés à l'âge d'Internet et des jeux vidéo, ces nouveaux travailleurs possèdent d'importantes capacités d'apprentissage et sont parfaitement à l'aise dans un monde où les compétences évoluent.

Grands voyageurs, ils maîtrisent souvent plusieurs langues étrangères et considèrent la gestion dans un contexte interculturel comme normale. En contrepartie, ces jeunes sont plus exigeants envers leur travail. Mus par un besoin de reconnaissance, ils veulent que leur travail ait du sens et recherchent chez leurs employeurs non pas des dirigeants mais des leaders.

Une opportunité

Pour les organisations, l'arrivée de cette nouvelle génération constitue une occasion en or de dépoussiérer certaines pratiques de gestion.

Ainsi en est-il, par exemple, de la notion de carrière. Fini le temps où il fallait «faire ses classes», attendre un nombre prédéterminé d'années avant d'espérer recevoir une promotion, cheminer d'un poste à l'autre selon une progression verticale établie de façon presque immuable.

Aujourd'hui, les jeunes veulent une gestion plus flexible, ils souhaitent être exposés rapidement à un grand nombre de projets, ils ont besoin d'apprendre constamment, de relever des défis.

Et la pénurie anticipée de main-d'oeuvre oblige les organisations à accéder à ces demandes. Des employés de plus en plus jeunes seront amenés à assumer des responsabilités autrefois confiées uniquement à des personnes expérimentées.

Pour préparer cette nouvelle génération à prendre la relève des baby-boomers, les gestionnaires doivent s'assurer qu'ils acquièrent rapidement les savoir-faire tacites que leurs aînés ont développés au fil de longues années d'expérience.

Pour cela, les dirigeants n'ont pas d'autre choix que d'offrir des alternatives à une gestion traditionnelle: gestion par projet, groupes de travail, équipes intergénérationnelles, jumelages d'employés, assignations temporaires, expatriations sont autant de moyens déployés par les organisations pour faciliter les transferts de connaissances entre les générations d'employés.

Ce sont également de formidables occasions de redonner de la souplesse à des pratiques de gestion qui ont tendance à se cristalliser au fur et à mesure de l'instauration de règles de fonctionnement.

Des défis à relever

Si la pénurie anticipée de main-d'oeuvre est une occasion de changement positif pour les entreprises, les préoccupations des gestionnaires ne sont pas pour autant sans fondement.

D'une part, le tableau idyllique d'une jeunesse scolarisée, dynamique et prête à relever de nouveaux défis ne correspond qu'à une partie de la main-d'oeuvre québécoise.

Les décrocheurs, les immigrants dont la formation n'est pas reconnue ici ou encore les travailleurs aux compétences obsolètes n'auront souvent pas les moyens de relever les défis de la relève de leurs aînés.

D'autre part, les organisations, que ce soit dans le secteur privé ou dans l'administration publique, feront face au cours des prochaines années au plus grand changement de génération qu'ait connu l'économie du Québec.

Le succès de cette transition est largement tributaire des pratiques de gestion.

Celles-ci doivent à la fois favoriser le maintien d'une expérience de travail positive pour les employés plus âgés, et faciliter la mise en oeuvre de différentes formes de collaboration intergénérationnelle, afin de promouvoir un transfert en douceur des compétences.

En soi, il s'agit d'un défi de taille!

L'auteure est professeure agrégée et directrice du service d'enseignement de la gestion des ressources humaines HEC Montréal.