Dans plusieurs entreprises de service, le client est roi. À un point tel qu'il devient le réel décideur des pratiques de ressources humaines.

Dans plusieurs entreprises de service, le client est roi. À un point tel qu'il devient le réel décideur des pratiques de ressources humaines.

Samedi soir, 22h30. Le système informatique des serres de Monsieur Salade (nom fictif) vient de flancher.

Son propriétaire lance un SOS sur le BlackBerry du technicien d'Infotex, qui quitte sur le champ une fête entre amis pour aller sauver les légumes.

Dans les faits, c'est le propriétaire Monsieur Salade qui dicte désormais les horaires de travail de cet employé d'Infotex.

Plusieurs histoires

Des histoires du genre, les sociologues Marie-Josée Legault et Guy Bellemarre, en ont plusieurs à raconter.

Entre 2001 et 2002, ils ont mené des entrevues avec 88 techniciens et professionnels de cinq PME et de deux divisions informatique d'entreprises montréalaises.

«Dans le secteur du logiciel et du soutien informatique aux entreprises, le client intervient dans la gestion des ressources humaines.

«Son pouvoir va jusqu'au congédiement et à l'embauche de professionnels des équipes affectés à ses dossiers», explique Marie-Josée Legault, professeur en relations industrielles à la TELUQ.

Comme dans l'exemple de M. Salade, c'est souvent le client qui oblige les informaticiens à faire des heures supplémentaires ou encore qui a le dernier mot sur leurs vacances et congés.

«Lorsqu'il existe des directions de ressources humaines, leur champ d'action est très limité. Les politiques officielles sont suspendues au profit d'un autre objectif: respecter les budgets et les échéanciers des projets établis par contrat avec les clients», précise Mme Legault.

Ces contrats sont négociés par les patrons mais leur réalisation est entièrement sous la responsabilité d'équipes de gestion de projets.

«L'équipe a un prestige comme équipe. Elle sanctionne sévèrement ceux qui veulent prendre du temps pour eux et dérogent ainsi des impératifs d'urgence du client», constate Guy Bellemarre, professeur en relations industrielles à l'Université du Québec en Outaouais.

La sanction est sociale et joue sur la culpabilité. Le pouvoir des collègues est grand. Ils peuvent recommander ou exclure leurs pairs d'un futur projet.

Ceux qui réclament, par exemple, plus de temps pour leur famille ou refusent des heures supplémentaires risquent d'être marginalisés ou relégués à des projets plus tranquilles et moins prestigieux.

«Ce type de sanction mine la réputation qui, est, dans ce secteur, le seul levier de hausse de la rémunération», indique M. Bellemarre.

Selon ce chercheur, ces phénomènes témoignent d'un changement important dans le rôle des équipes de travail.

«Aux premières heures de la révolution industrielle, les collectifs avaient pour effet de protéger les travailleurs. Avec la gestion par projet et l'apparition du client roi, la pression vient désormais des équipes», résume-t-il.

Malgré ces changements, les deux universitaires ont constaté qu'une grande motivation et un haut degré d'engagement chez ces professionnels... Jusqu'à ce qu'ils craquent. La rupture se produit généralement dans la quarantaine, chez les hommes ou après la naissance des enfants, pour les femmes.

Prochaine étape de leurs recherches: observer les effets du client roi dans de grandes entreprises du secteur.

«Notre hypothèse est que les modes de structuration du travail chez ces employeurs permettent un meilleur respect des politiques de ressources humaines», avance M. Bellemarre.

Marie-Josée Legault croit que la situation pourrait s'améliorer en cas de pénurie de main-d'oeuvre. Ce n'était pas le cas au moment de l'étude.

Selon Guy Bellemarre, les politiques de l'État pour assurer le respect des normes de travail les plus élémentaires devront désormais tenir compte de ce bouleversement des acteurs décisionnels.

Le client roi, oui mais...

Sylvie Gagnon connaît bien le secteur. Elle est directrice générale de TECHNOcompétences, le comité sectoriel de main-d'oeuvre en technologies de l'information et des communications.

«Le problème n'est pas le client roi. Le vrai problème, c'est l'absence de planification des entreprises et le fait qu'elles signent des contrats sans fixer le bon prix et sans y inclure le respect des conditions de travail de base», dit-elle.

À défaut de ces conditions, Mme Gagnon reconnaît que les travailleurs sont les premières victimes de l'approche client. Elle refuse toutefois de voir le secteur des TI comme le seul touché par la tyrannie du client-roi.

«Si une entreprise vend un logiciel qui gère les caisses d'un épicerie et que ses employés doivent travailler le samedi soir, c'est parce que ce commerce est ouvert sept jours sur sept, très tard sinon 24 heures par jour. Les caissières sont, tout comme lui, des victimes du client roi», illustre-t-elle.