Oubliez les cours et les livres d'introduction à la Bourse. Les vrais investisseurs commencent leur éducation dès le berceau, prétend une universitaire américaine.

Oubliez les cours et les livres d'introduction à la Bourse. Les vrais investisseurs commencent leur éducation dès le berceau, prétend une universitaire américaine.

La théorie de Paola Sapienza, professeure en finance à l'Université Northwestern, est simple: les gens qui font confiance aux autres sont plus nombreux à investir en Bourse. Or, la confiance n'est pas une valeur universelle.

Les parents de cultures différentes ne l'inculquent pas de la même façon à leurs enfants. Ni au même degré. Ce qui explique pourquoi les Italiens, traditionnellement méfiants envers les autres, investissent peu en Bourse.

Et pourquoi les Suédois, qui nouent facilement des liens de confiance, sont parmi les champions de l'activité boursière.

Une théorie farfelue? Pas si vite. Dans une étude mise à jour en janvier dernier, la professeure Sapienza a comparé le taux de confiance et le taux d'investissements boursiers d'une dizaine de pays.

La Suède et le Danemark, deux des trois pays les plus actifs en Bourse, comptent sur les citoyens qui font le plus facilement confiance aux autres, selon des sondages mondiaux sur les valeurs (World Values Surveys).

L'inverse est aussi vrai. Les citoyens de l'Espagne, de l'Autriche et de l'Italie, qui fréquentent peu les marchés boursiers, font difficilement confiance aux autres. Les Français forment l'exception qui confirme la règle: ils jouent beaucoup en Bourse malgré un indice de confiance peu élevé.

En s'intéressant aux conséquences économiques des traditions culturelles, la professeure Sapienza savait qu'elle sortait des sentiers battus.

«Les économistes ont beaucoup de théories sur les décisions financières des gens mais elles ne fonctionnent jamais parfaitement, dit-elle. C'est en partie à cause des différences culturelles. Les économistes s'imaginent que l'économie affecte toujours la façon de vivre des gens. Or, le contraire est parfois vrai: c'est la façon de vivre des gens qui affecte l'économie.»

Et si les pays «confiants» étaient tout simplement plus riches que les pays «méfiants»? La professeure Sapienza avait prévu le coup. C'est pourquoi elle a aussi comparé le taux d'investissements boursiers des personnes les plus fortunées de ces mêmes pays. Échantillon différent, même résultat.

«Les gens les plus fortunés ont facilement accès aux marchés boursiers étrangers, qui sont parfois plus sûrs, dit-elle. En Italie, il n'y a pas de barrières à l'investissement étranger. Pourtant, seulement 30% des Italiens les plus riches investissent en Bourse. Si les autres Italiens ne le font pas, c'est à cause des valeurs qu'ils ont reçues au cours de leur éducation.»

La professeure Sapienza donne aussi l'exemple de la Belgique et des Pays-Bas, deux pays voisins dotés d'une richesse comparable (le PIB par habitant est de 30 800 euros aux Pays-Bas contre 28 500 euros en Belgique).

Or, les Néerlandais sont trois fois plus nombreux à tenter leur chance à la Bourse!

«Les Belges ont un niveau de confiance très faible (selon les standards européens)», explique-t-elle.

Mais ceux qui fuient la Bourse comme la peste sont les Italiens. Ils sont d'ailleurs à l'origine des recherches de la professeure Sapienza sur le sujet. «J'ai une collègue d'origine italienne qui vit aux États-Unis depuis plus de 10 ans et qui est toujours incapable d'envoyer un chèque par la poste, dit-elle. En Italie, le facteur volerait le chèque à coup sûr. C'est intéressant de constater que les immigrants continuent de prendre leurs décisions financières comme s'ils habitaient dans leur pays d'origine.»

Et pourquoi les Italiens sont-ils si peu confiants – envers les marchés boursiers comme en général? «Ce n'est pas clair, dit la professeure Sapienza, elle-même d'origine italienne. C'est un phénomène particulièrement répandu dans le sud du pays. La principale théorie veut que cette partie du pays ait été conquise tellement souvent au cours de l'histoire que les gens là-bas n'ont confiance en personne...»