Lauréate du Prix du livre d'affaires du siècle, la professeure de l'École des HEC Patricia Pitcher entreprend un ouvrage semblable à son best-seller sur le leadership... à ceci prêt qu'il portera cette fois sur la maladie qui est en train de l'emporter.

Lauréate du Prix du livre d'affaires du siècle, la professeure de l'École des HEC Patricia Pitcher entreprend un ouvrage semblable à son best-seller sur le leadership... à ceci prêt qu'il portera cette fois sur la maladie qui est en train de l'emporter.

Honorée mardi soir par le milieu des affaires pour Artistes, artisans et technocrates, qui a connu un succès international à partir de 1994, Mme Pitcher, fin cinquantaine, a annoncé à un auditoire ému qu'elle est atteinte de sclérodermie et qu'elle sait ses jours comptés.

De quoi changer le cours de sa vie ? Au contraire, c'est «business as usual», répond celle qui entreprend d'écrire un livre sur les maladies auto-immunes comme la sienne, et qui dit le préparer dans le même esprit que son bouquin d'il y a 13 ans.

Elle voit d'ailleurs un même fil conducteur à l'ensemble de sa carrière hétéroclite d'économiste en chef à la Bourse de Toronto, puis de vice-présidente à la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, puis de directrice du programme de doctorat aux HEC.

«La clé du retentissement de mon livre, ça a été que l'être humain a toujours besoin de comprendre son monde, sinon il se sent mal, expose-t-elle en entrevue. Les gens m'écrivent encore de différents pays pour me dire que le livre les a aidés à comprendre pourquoi ils n'étaient pas promus ou pas compris dans leur entreprise: ils ne faisaient pas leurs efforts dans le bon sens.»

Artistes, artisans et technocrates portait sur les différents types de leadership et contestait la distinction courante entre leaders et gestionnaires, qui faisait des premiers des héros et des seconds des perdants. L'ouvrage voulait inciter chacun à tirer parti de ses talents propres plutôt que de vouloir se changer.

Aujourd'hui affectée par une maladie de la peau qui lui laisse au plus quelques années à vivre, Mme Pitcher dit reprendre la démarche à l'origine de son illustre ouvrage.

«Je suis chercheur de profession, alors j'essaie de comprendre les maladies du système immunitaire, dit-elle. Parce qu'elles frappent au milieu de la vie, qu'elles ont l'air de tomber du ciel et que leur composante génétique rend chaque cas unique, on les connaît très mal. La mienne est une bizarrerie parmi une centaine d'autres.»

Comme son premier livre, celui-ci obéit aussi à une intuition: Mme Pitcher fait l'hypothèse que les maladies dites «auto-immunes», c'est-à-dire dues à une hyperactivité du système immunitaire, sont en quelque sorte mal nommées.

«Nous ne sommes pas immunisés contre nous-mêmes, croit-elle. Certains choix de vie doivent déclencher ces maladies chez les gens qui y sont prédisposés génétiquement.»

En 1979, elle avait été saisie d'une conviction semblable lors d'un entretien avec le PDG de la société de haute technologie Leigh Instruments, John Shepperd. Derrière le bureau de ce dirigeant, un tableau fait de clous de différentes grosseurs l'avait soudain éclairée sur le leadership.

«J'ai vu que ce monsieur faisait lui-même un tableau avec ses usines, que l'entrepreneurship tenait de l'art et que la technique venait ensuite», se souvient-elle.

Une illumination qu'elle s'était par la suite affairée à étayer dans le cadre d'une thèse de doctorat, en analysant la personnalité de plusieurs PDG et en découvrant ainsi des constellations récurrentes de traits de caractère.

Constellations qui s'appliquent finalement à tout le monde, soutient-elle. «Au fond, c'était de la psychologie humaine appliquée à un domaine particulier. Ce qui explique aussi le succès du livre: des infirmières comme des professeurs l'ont acheté.»

Forte de sa renommée, Patricia Pitcher aurait pu faire fortune comme consultante après la sortie de l'ouvrage. «J'aurais détesté ça», confie-t-elle, se définissant fondamentalement comme une chercheuse.

C'est par pur concours de circonstance qu'elle a abouti dans le monde des affaires, elle qui prévoyait, au début de sa vie adulte, des études supérieures en science politique. Un mari en poste à Toronto et un travail d'adjointe au chef du NPD de l'époque, Steven Lewis, l'ont peu à peu introduite dans l'univers de PME, puis des sociétés cotées en Bourse. Tous ces détours ont finalement servi sa soif de comprendre et d'expliquer.

«J'aurais trouvé mon compte n'importe où et je n'ai aucun regret», déclare-t-elle, sereine, et convaincue que la dernière étape de sa vie lui en apprendra autant que les autres.