Depuis un siècle, l'américaine Anheuser Busch et la tchèque Budjovicky Budvar se disputent, pays par pays, le droit de vendre «leur» Bud.

Depuis un siècle, l'américaine Anheuser Busch et la tchèque Budjovicky Budvar se disputent, pays par pays, le droit de vendre «leur» Bud.

Les deux groupes se font des pieds de nez jusque dans leur slogan. Anheuser Busch dit de sa Bud qu'elle est «La reine des bières». La brasserie tchèque affirme que la sienne est «La bière des rois».

Les deux bières ont été lancées à une vingtaine d'années d'intervalle à la fin du XIXe siècle. La première a été créée à Saint-Louis, Missouri, par des immigrants d'origine tchèque. La seconde a vu le jour à Cezke Budejovice, le chef-lieu de la Bohème du Sud.

Leurs Bud entrent en collision dès le début du XXe siècle, quand les Européens commencent à exporter leur bière aux États-Unis.

Les Tchèques plaident le droit d'aînesse de la fabrication de leur bière. La vraie Budweiser est fabriquée depuis le XIIIe siècle dans leur ville au nom allemand de Budweis, soutiennent-ils alors et encore.

Anheuser Busch défend, de son côté, le droit d'aînesse de sa marque, enregistrée aux États-Unis une vingtaine d'années avant la naissance de son homonyme tchèque.

«Quand les marques sont enregistrées de bonne foi, la règle générale accorde le droit d'utilisation au premier arrivé», explique Me Laurent Carrière, agent de marques chez Robic.

Les conflits territoriaux ont commencé bien avant la vague actuelle de mondialisation.

«Au début de l'ère industrielle, les fabricants d'alcool et de tabac ont été les pionniers de l'exportation. Au Canada, les premières marques enregistrées par des étrangers visaient un cognac, un digestif et des cigares», note l'avocat.

Guerre mondiale

En 1939, à la veille de l'occupation de leur pays par les Nazis, les Européens capitulent et signent un accord avec Anheuser Busch qui lui reconnaît le droit d'utiliser la marque en Amérique du Nord et jusqu'à la frontière nord du Panama.

Depuis, la Bud tchèque porte ici le nom de Chezvar. Elle est aujourd'hui vendue, sous de multiples noms, dans 50 pays sur tous les continents.

Anheuser Busch occupe aujourd'hui le second rang mondial des brasseurs et sa Budweiser rivalise avec Corona au sommet des bières les plus vendues sur la planète.

Cette suprématie n'éteint pas la résistance de la brasserie tchèque. Depuis janvier dernier, ses avocats ont débattu le nom de ses marques devant une dizaine de tribunaux étrangers.

Anheuser Busch ne gagne pas toutes les batailles. Au Portugal, en Allemagne, en Russie et en Croatie, on boit la Budweiser de Budejovice. Au Royaume-Uni, les deux Bud cohabitent sous le même nom. Ailleurs, la lager - exactement la même - coule sous de multiples appellations.

«Chezvar est notre nom de marque de dernier recours. Quand Budweiser n'est pas reconnu, nous nous battons pour vendre le produit sous le nom Budejovicky Budvar, Budejovice Pivo ou Ceske Budejovicke Pivo», expliquait le responsable des relations publiques Petr Samec, lors d'une visite de la brasserie en mars dernier.

Anheuser Busch s'oppose vigoureusement à l'utilisation de ces marques de peur que les consommateurs les réduisent à leur première syllabe: Bud.

En novembre 2006, la plus haute Cour de Pékin a statué en faveur de Budejovicky Budvar après une bataille qui a duré neuf ans. Les Chinois ont jugé que les deux marques étaient suffisamment différentes visuellement et phonétiquement, en dépit de leur trois premières lettres identiques.

Les litiges sont loin de se limiter à la marque. Ils s'étendent à toutes les informations inscrites sur l'étiquette ainsi qu'à la taille des caractères.

Au Canada, par exemple, le fabricant de la Chezvar est identifié par sa raison sociale juridique B.B.N.P. plutôt que par son appellation commerciale Budweiser Budvar. On peut néanmoins apprendre que la lager est fabriquée à Cezke Budejovice.

Trésor national

Pendant l'ère communiste, la Bud tchèque a été largement distribuée dans tous les pays du Bloc soviétique et l'État a défendu bec et ongles la guerre de sa brasserie contre le géant américain.

Après la Révolution de velours, en 1989, le gouvernement a maintenu cet appui en la conservant sous son aile. Budweiser est la seule grande brasserie tchèque, et une des rares entreprises manufacturières, a avoir été épargnée par la privatisation.

Les Tchèques savent très bien que le seul acheteur possible de la brasserie de Bohème est Anheuser Busch. Aucun autre groupe n'est en effet intéressé à mettre la main sur une entreprise aussi coûteuse en honoraires d'avocats.

«Si Anheuser Busch achetait la brasserie, ils referaient la carte du monde des Bud. Les Tchèques ont peur de perdre une marque qu'ils considèrent comme un trésor national», explique Christian Geadah, directeur des ventes de son distributeur au Québec, le groupe Bruce-Ashley.

En 2006, Budweiser Budvar a exporté 556 000 hectolitres de sa Bud, une croissance de 7% sur 2005. C'est près de 50% de sa production totale. Ses principaux acheteurs étrangers sont les Allemands, les Britanniques, les Slovaques et les Autrichiens.

En bravade à l'autre Bud.

Depuis quelques mois, la Chezvar gagne la faveur d'un nombre grandissant de clients de la Société des Alcools du Québec (SAQ). Si certains l'adoptent pour son goût, d'autres la boivent en bravade au géant américain.

«Pour plusieurs connaisseurs, la guerre des Bud fait partie des charmes de la Chezvar et plusieurs suivent ses développements sur le WEB. C'est une histoire amusante à raconter autour d'un verre», commente Christian Geadah.

Sa vente par la SAQ a démarré en 2002. Un différent sur un contrat d'exclusivité a provoqué son absence des rayons pendant plusieurs mois. Elle est de retour depuis 2004 dans un format de 500 millilitres.

«Les ventes progressent vraiment pour la première fois cette année. Nous écoulons environ 200 caisses par période de quatre semaines. Notre objectif est de rejoindre les ventes de Colombie-Britannique où 3000 caisses ont été vendues le mois dernier», indique M. Geadah.

Au moment d'écrire ces lignes, il restait environ 2000 bouteilles de Chezvar réparties dans une centaine de succursales de la SAQ. Plusieurs sont en rupture de stock. "Nous en attendons 540 caisses de 20 bouteilles pour le 20 août. Elles devraient être disponibles dans nos succursales pour le 27 août", indique Stéphanie Létourneau, de la SAQ.