Que diriez-vous d’une réforme qui multiplie les soins aux aînés, diminue le recours aux CHSLD et fait économiser 800 millions de dollars à l’État ?

C’est l’acrobatie qu’une équipe de chercheurs est parvenue à faire après plusieurs mois de recherche, dont les résultats sont rendus publics ce jeudi matin. Il s’agit du deuxième volet d’une étude sur le sujet réalisée par la Chaire de recherche sur les enjeux économiques intergénérationnels.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Les auteurs de l’étude suggèrent notamment d’être plus restrictifs pour les places en CHSLD.

Les auteurs sont l’ex-ministre de la Santé Réjean Hébert de même que les économistes Pierre-Carl Michaud, Nicholas-James Clavet et Julien Navaux.

Comment réussir une telle acrobatie ? Essentiellement, les chercheurs proposent de changer la répartition des fonds actuellement disponibles pour l’ensemble des quelque 200 000 personnes âgées qui commandent des soins.

Premier élément : ils suggèrent d’être plus restrictifs pour les places en CHSLD, en les réservant aux seuls cas très lourds, mais en même temps de ne plus financer les cas très légers, qui bénéficient déjà de divers crédits (1).

Deuxième élément : ils proposent de hausser les contributions des usagers hébergés dans les CHSLD et les établissements dits de ressources intermédiaires ou de type familial (RI-RTF).

Depuis plusieurs années, les contributions des usagers sont plafonnées et elles ne représentent plus qu’une fraction du coût du logis et des repas. Cette structure de frais avantage l’hébergement en CHSLD et RI-RTF au détriment des soins à domicile.

Les chercheurs feraient passer cette contribution de quelque 20 % du coût d’une place à 30 %, avec une variation en fonction des revenus des usagers, comme actuellement. Une place en CHSLD coûte 101 000 $, en moyenne.

L’ensemble des économies ainsi engendrées serait massivement affecté aux soins à domicile pour les 91 000 cas intermédiaires, soit les personnes âgées qui ont des difficultés motrices ou mentales modérées ou importantes, mais nettement moindres que les patients en CHSLD. Les niveaux d’autonomie sont définis dans une grille réputée appelée Iso-SMAF (2).

Actuellement, pour les soins à domicile, le gouvernement finance seulement 8 % de ce qui est idéalement requis. Le groupe propose de faire passer cette proportion à 30 %, 40 %, voire 50 % (trois scénarios).

Concrètement, les soins à domicile passeraient d’une moyenne de 1,7 heure à 10 heures par semaine avec le scénario mitoyen (financement de 40 %). Cette hausse permettrait à une plus grande proportion d’aînés (et à leurs aidants naturels) d’opter pour le maintien à domicile.

Un compte de banque à la RAMQ

Mais comment répartir les fonds entre les usagers, selon la lourdeur des cas ? Voilà l’idée plutôt originale des chercheurs : ils créeraient un « compte autonomie », soit un genre de compte de banque alloué à chaque aîné pour l’achat de services à domicile, en fonction de son niveau d’autonomie.

Par exemple, un aîné aux besoins assez importants (Iso-SMAF de 6) aurait droit à une allocation de 16 600 $ par année pour acheter des soins à domicile. Les services pourraient être achetés tant auprès d’un CLSC que d’un organisme communautaire ou d’une entreprise privée, à but lucratif ou non.

Le compte autonomie et les déboursés seraient gérés par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ).

Un aîné pourrait évidemment dépenser davantage, mais avec ses propres fonds.

Les quelques rares aînés autonomes ou quasi autonomes (Iso-SMAF de 1 à 3) n’auraient pas droit à de tels comptes. Ni les personnes en CHSLD (Iso-SMAF de 11 à 14), que l’État financerait à 70 %. En revanche, le compte serait mieux garni pour les aînés très peu autonomes (26 700 $ pour un Iso-SMAF de 10).

Autre élément : le rapport estime que le compte autonomie pourrait varier en fonction du niveau de revenus et d’actifs des aînés visés. Les pauvres recevraient plus, les riches moins.

La solution proposée permettrait de faire face à la forte augmentation du nombre de personnes âgées au cours des prochaines années, selon les chercheurs. Ils rappellent que le vieillissement des baby-boomers fera tripler les dépenses pour l’État d’ici 20 ans.

Économie de 800 millions

En maintenant le statu quo, l’étude calcule que l’ensemble des soins aux aînés coûtera 7,8 milliards de dollars en 2025 au gouvernement du Québec.

La réforme permettrait au gouvernement de ne pas construire de nouveaux immeubles de CHSLD d’ici 10 ans, bien que 15 247 places seraient nécessaires avec le statu quo. Cette économie, entre autres, permettrait de réduire la facture de soins aux aînés à quelque 7 milliards en 2025, plutôt que 7,8 milliards, engendrant des économies de quelque 800 millions (en prenant le scénario mitoyen de niveau de soins à domicile).

Sur 30 ans, l’économie oscillerait même entre 12 et 69 milliards, selon le scénario choisi pour le niveau de soins à domicile.

L’économie pourrait même être plus importante dans la mesure où l’étude ne prend pas en compte la décision du gouvernement caquiste de miser sur ses maisons des aînés, qui coûtent trois fois plus cher par place que les CHSLD traditionnels.

Ma réserve ? L’État aurait à faire une évaluation Iso-SMAF plus rigoureuse de tous les aînés, et cette opération devrait être faite annuellement, vu l’impact sur le compte autonomie, ce qui n’est pas une mince affaire.

L’un des auteurs, Pierre-Carl Michaud, convient qu’il s’agit d’une réforme ambitieuse, mais les besoins seront tels au cours des prochaines années que l’État n’aura pas le choix de s’ajuster. Une telle réforme serait d’ailleurs étalée sur 10 ans, propose le rapport.

Pour M. Michaud, ce serait déjà très bien si l’on retenait les grands principes de l’étude pour réformer le financement des soins.

Son dévoilement aura lieu vers 9 h, lors d’un évènement où seront présents, outre les chercheurs, les panélistes Pauline Marois, Bernard Morency, Alain Dubuc et André Picard.

1. Nommément le crédit d’impôt pour maintien à domicile et le programme d’exonération financière pour les services d’aide domestique.

2. Ce système de mesure de l’autonomie fonctionnelle (SMAF) des personnes âgées dresse 14 profils, les profils 1, 2 et 3 étant essentiellement autonomes, tandis que les profils au-delà de 11 sont jugés lourds (alitement, atteinte mentale grave, etc.). En CHSLD, plus des deux tiers des résidants sont atteints de démence ou d’une forme d’alzheimer.

Assistez au dévoilement de l’étude en ligne ce jeudi matin Consultez les résultats de l’étude