Ce devait être la première semaine du procès de David Baazov pour délit d'initié, le plus important du genre jamais vu au Québec, voire au pays. Toutefois, à la suite du dépôt d'une requête de type Jordan par la défense, la semaine est consacrée à des représentations liées au caractère raisonnable ou non des délais dans le dossier.

David Baazov était présent, hier, au palais de justice de Montréal pour entendre ses avocats et les procureurs de l'Autorité des marchés financiers (AMF) débattre du mérite de sa demande en arrêt des procédures.

Sans surprise, l'AMF a enjoint le tribunal à rejeter la demande et affirme que les délais ne sont pas déraisonnables. Durant ses représentations, l'avocate de l'AMF, Magdalini Vassilikos, a porté plusieurs jugements et décisions à l'attention du juge pour justifier la position du gendarme boursier. Le qualificatif « frivole » a même été soulevé par l'AMF à propos de la requête de la défense.

Mais après avoir entendu les représentations des deux parties, le juge Salvatore Mascia, de la Cour du Québec, ne s'est pas montré disposé à sauter si vite à cette conclusion.

« La cour a l'obligation de gérer le processus des requêtes frivoles ou dilatoires. Les ressources judiciaires sont limitées. Il ne faut pas gaspiller du temps avec des requêtes inutiles qui n'ont aucune chance de succès. Je ne me prononce pas sur les chances de succès de la requête sauf qu'à sa face même, je suis incapable de dire qu'elle est frivole », a dit le magistrat.

« Par acquit de conscience, on a besoin d'obtenir quelques réponses. Il me semble qu'il y a des témoins dont la cour a l'obligation d'entendre. » - Le juge Salvatore Mascia

La défense a identifié quatre témoins qu'elle a commencé à interroger en après-midi, hier, pour appuyer sa requête. Les quatre témoins en question sont tous des enquêteurs de l'AMF.

Leurs témoignages visent à éclairer le juge entourant la raison à l'origine de la requête en arrêt des procédures. La défense a présenté sa demande à la suite de la divulgation par l'AMF, il y a trois mois, de 16 millions de fichiers issus de perquisitions effectuées en mars 2016.

UN AJOURNEMENT INÉVITABLE

L'ajournement du procès est inévitable, selon la défense, car un délai équivalant à celui dont a bénéficié l'AMF pour analyser ces éléments divulgués tardivement est requis. Et comme il est présentement prévu que le procès se termine à la fin d'avril, la défense souligne qu'en tenant compte d'un délibéré de trois mois, la fin anticipée est portée à la fin de juillet, soit un délai de 28 mois après le dépôt des accusations. C'est déjà au-delà du plafond établi par l'arrêt Jordan, fait valoir le clan Baazov.

La preuve volumineuse (découlant des nombreuses perquisitions) et le nombre de témoins (l'AMF en a identifié plus d'une trentaine pour le procès) ne suffisent pas à rendre l'affaire complexe au point de justifier les délais, selon la défense.

INFRACTIONS ALLÉGUÉES

La poursuite soutient qu'au printemps 2014, David Baazov et le coaccusé Benjamin Ahdoot possédaient de l'information privilégiée lorsqu'ils ont transigé l'action d'Amaya, à savoir l'avancement des négociations d'acquisition de PokerStars par Amaya. Les opérations boursières auraient été effectuées par l'entremise d'une entreprise liée à Yoel Altman, qui fait lui aussi l'objet d'accusations de délit d'initié.

L'AMF souligne particulièrement qu'avant une série de transactions sur l'action d'Amaya par une entreprise liée à Altman, une somme de 1,4 million de dollars a été transférée du compte bancaire d'Amaya à un compte bancaire d'une entreprise d'Altman. Toujours selon l'AMF, Baazov a transféré les coordonnées bancaires d'une entreprise d'Altman à Ahdoot, à la suite de quoi ce dernier a envoyé des instructions chez RBC pour demander le transfert de 200 000 $ de son compte personnel au compte d'une entreprise d'Altman.

Par après, Baazov aurait demandé à Altman de lui faire parvenir rapidement une facture pour 1,4 million pour de prétendus services rendus à Amaya à titre de consultant. L'AMF soutient aussi que la somme de 200 000 $ a ultimement été remboursée à Ahdoot par Altman.

Rappel des faits

Amaya annonce l'acquisition de PokerStars en juin 2014 au prix de 5 milliards US.

Des perquisitions sont notamment effectuées dans les bureaux d'Amaya par l'AMF en décembre 2014.

L'AMF dépose des accusations de délit d'initié en mars 2016 contre David Baazov, Benjamin Ahdoot, Yoel Altman et trois entreprises liées à Altman.

David Baazov quitte ses fonctions chez Amaya dans les mois qui ont suivi le dépôt des accusations.

Amaya change son nom pour Stars Group et déménage son siège social de Pointe-Claire vers Toronto en août 2017.

David Baazov a vendu la majorité de ses actions d'Amaya mais détient encore une participation de 4 % dans Stars Group, qui a une valeur de 170 millions.