L'Aluminerie de Bécancour a-t-elle le droit de payer moins cher les étudiants qui remplacent ses travailleurs en vacances? Dans une cause qui pourrait faire jurisprudence et coûter des millions à l'entreprise, le Tribunal des droits de la personne a entamé hier la dernière étape, celle des plaidoiries qui se tiendront toute la semaine au palais de justice de Montréal. Quatre questions pour comprendre.

Qui poursuit qui dans cette affaire ?

Tout a commencé par la plainte d'une étudiante, Stéphanie Beaudry, auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ). Appuyée par le syndicat des Métallos et au nom de 160 travailleurs étudiants embauchés par l'Aluminerie de Bécancour depuis 2007, Mme Beaudry dénonçait le fait qu'elle était payée 31,23 $ l'heure, alors que les employés occasionnels recevaient un salaire de 40,31 $. 

Concluant que cette différence de traitement contrevenait à plusieurs articles de la Charte des droits et libertés de la personne, la Commission a décidé en avril dernier de poursuivre Aluminerie de Bécancour inc. (ABI). Si le tribunal leur donne raison, certains étudiants pourraient avoir droit à des remboursements pouvant aller jusqu'à 35 000 $. La cause a été entendue ce printemps à Trois-Rivières et, en raison d'un manque de locaux disponibles, a déménagé hier à Montréal pour les plaidoiries finales.

Quels sont les arguments des étudiants ?

Ce sont justement leurs avocats qui ont ouvert hier les audiences. Me Maurice Drapeau, représentant la CDPDJ, a d'entrée de jeu estimé que « les étudiants effectuent un travail équivalent même lorsqu'ils n'accomplissent pas toutes les tâches » des travailleurs qu'ils remplacent. Il croit que leur salaire a été diminué en raison de « leur condition sociale d'étudiant et de leur jeune âge », ce qui violerait explicitement plusieurs articles de la charte québécoise. 

Me Drapeau a rappelé à plusieurs reprises que ces étudiants étaient considérés comme essentiels par l'Aluminerie de Bécancour, et que la production continuait au même rythme grâce à eux l'été. Sur les 1150 employés que compte l'usine, jusqu'à 260 étaient des étudiants l'été jusqu'en 2008. Leur nombre a graduellement baissé à 130 après cette date.

Pour Me Stéphanie Lindsay, qui représente le syndicat des Métallos, les étudiants ont en fait les mêmes responsabilités et le même type de formation que les travailleurs occasionnels. « Dans les faits, ils font la même chose. La dangerosité au niveau des postes étudiants, elle est présente. » Quant au salaire horaire apparemment très avantageux de 31,23 $, elle a eu cette réflexion humoristique : « C'est sûr que les conditions de travail ne sont pas les mêmes que chez McDo. Mais il y a moins de risques à "fliper" des burgers. »

Quelle est la réponse de l'aluminerie ?

La plaidoirie de ses avocates est attendue aujourd'hui et demain. On sait cependant que l'employeur a déjà fait valoir ce printemps que les étudiants ne pouvaient effectuer toutes les tâches à l'aluminerie, essentiellement parce que certaines demandent une formation trop longue. Leur embauche requiert nécessairement la présence d'ouvriers qualifiés, ce qui justifierait le fait qu'on leur accorde un salaire inférieur. Dans une requête débattue en avril dernier, ABI a aussi soutenu que le syndicat devrait également être tenu responsable de cette situation, puisqu'il a signé depuis 1994 plusieurs conventions collectives l'entérinant.

Comment va trancher le Tribunal ?

Impossible de le prédire, et la juge Magali Lewis ne rendra pas son verdict avant six mois. Hier, elle a cependant donné quelques indications sur les points de droit sur lesquels s'appuierait sa décision. Il a ainsi longuement été question des nuances plutôt complexes entre les « tâches » et les « postes », les étudiants cumulant de nombreuses tâches sans obtenir le salaire des employés permanents. Ils effectueraient, selon les témoignages entendus ce printemps, entre 48 % et 100 % des tâches associées à des postes précis. 

« Est-ce que ce n'est pas justifié d'avoir un salaire différent si l'étudiant ne fait que 48 % des tâches d'un poste ? », a demandé la juge Lewis, précisant que sa question n'était pas « indicative de la position du Tribunal ». L'avocate du syndicat des Métallos, Me Lindsay, a rappelé que les travailleurs occasionnels, dans la même situation, touchaient un plein salaire.