Une quinzaine d'années après la fermeture de l'usine, le fiasco de la Gaspésia n'est pas totalement terminé. Un dernier litige de 9 millions de dollars oppose le fisc fédéral au Fonds de solidarité FTQ. Explications du dernier chapitre d'une histoire qui n'en finit plus de finir.

L'IDÉE DE BERNARD LANDRY

C'est le gouvernement péquiste de Bernard Landry qui avait eu l'idée de relancer l'usine de pâtes et papiers Gaspésia après sa fermeture en 1999. Cinq cents personnes avaient alors perdu leur emploi. Au départ, le projet de relance devait coûter 465 millions, mais il n'a jamais vu le jour en raison des dépassements de coûts supérieurs à 200 millions.

QU'EST-CE QUI CLOCHE CETTE FOIS-CI ?

L'Agence du revenu du Canada et le Fonds de solidarité FTQ ne s'entendent pas à propos d'un « don » de 9,3 millions à la Ville de Chandler que le Fonds de solidarité veut déduire dans ses déclarations de revenus. En 2007, quand la société vietnamienne Vantek achète l'usine et les équipements pour 40,7 millions, cette somme est partagée entre les différents intervenants qui ont tenté sans succès de relancer la Gaspésia, dont le Fonds de solidarité qui reçoit environ 11,1 millions. Le Fonds donne la quasi-totalité de cet argent (9,3 millions) à la Ville de Chandler pour qu'elle fasse du développement économique. Elle inscrit ces sommes comme dons dans sa déclaration de revenus, mais le fisc fédéral conteste cette déduction, au motif que ce ne sont pas des dons, mais des obligations en vertu d'un contrat. Par conséquent, les sommes ne sont pas déductibles, selon le fisc fédéral.

UN DON, VRAIMENT ?

L'Agence du revenu du Canada estime que le Fonds de solidarité n'a pas fait un don à la Ville de Chandler, mais a plutôt « constitué une contrepartie pour des actifs reçus par le Fonds ». Selon les documents produits à la Cour canadienne de l'impôt, le fisc fédéral soutient que le versement de 9,3 millions « a eu pour effet d'éteindre l'obligation légale [...] de contribuer à un fonds de relance économique » en vertu d'une convention signée en octobre 2005 par les différents partenaires de la relance de la Gaspésia. Cette convention prévoyait la remise de la vente des actifs à la Ville de Chandler.

LES ARGUMENTS DE LA FTQ

Le Fonds de solidarité estime plutôt avoir « choisi librement de donner des montants à Chandler » et « n'a rien obtenu en échange ». « Le Fonds conteste l'interprétation faite par les autorités fiscales, et ce, en tenant compte des intérêts de nos actionnaires-épargnants et des bénéfices que la communauté locale de Chandler a tiré du montant qui a été versé. Le Fonds fera valoir des arguments solides en temps et lieu », indique Patrick McQuilken, porte-parole du Fonds de solidarité FTQ, à La Presse.

UNE DÉPENSE D'ENTREPRISE ?

Si les tribunaux estiment que le versement de 9,3 millions n'est pas un don, le Fonds de solidarité fait valoir qu'il s'agissait alors d'une dépense d'entreprise déductible des impôts afin de tirer un revenu, notamment pour « entretenir sa crédibilité à titre d'investisseur et maintenir son image auprès du public et de ses centaines de milliers d'actionnaires ». Le fisc fédéral conteste cette interprétation.

UNE DÉCISION BIENTÔT ?

Au fédéral, la Cour canadienne de l'impôt a entendu les parties en mars dernier et rendra sous peu sa décision, prise en délibéré. Si le fisc fédéral remporte la cause, l'Agence du revenu du Québec pourrait être tentée de refuser à son tour la déduction demandée par le Fonds de solidarité, qui paie des impôts sur ses profits en vertu du régime fiscal pour les fonds en capital variable.

250 MILLIONS

Pertes pour le trésor public québécois dans le dossier de la Gaspésia, notamment par le biais de la Société générale de financement.

PLUS DE 200 MILLIONS

Dépassements de coûts lors du chantier de relance de la Gaspésia. Après l'avortement du projet, le gouvernement Charest crée une commission d'enquête sur les dépassements de coûts de la Gaspésia. Dans son rapport en 2005, le président de la commission, Robert Lesage, un juge à la retraite, a conclu à une « idéologie interventionniste et des motifs électoralistes » du gouvernement Landry, qui « a agi sans se soucier de la rationalité économique ». Le rapport a aussi blâmé le pouvoir des syndicats sur le chantier. « Le mot d'ordre donné aux entrepreneurs [...] était de se plier aux exigences des représentants syndicaux "pour les bonnes relations" », écrivent les commissaires. Le montage financier a aussi été critiqué (« un système de déresponsabilisation »), notamment parce que Tembec était libérée d'engagements similaires à son usine de Matane.