C'est le procès de l'année qui s'ouvre aujourd'hui à Québec.

Le tribunal entend la cause de Ressources Strateco, la petite société minière québécoise qui poursuit le gouvernement du Québec pour avoir stoppé son projet de mine d'uranium parvenu au dernier stade de son développement. L'entreprise veut récupérer l'argent qu'elle a investi, plus les intérêts et des dommages exemplaires, soit au total 200 millions.

Le dénouement de cette triste histoire qui a commencé en 2005 permettra de savoir jusqu'où vont les pouvoirs d'un gouvernement et où s'arrêtent les droits des entreprises.

LA STAR DU PLAN NORD

Strateco a dépensé 147 millions et obtenu tous les permis nécessaires à la réalisation du projet Matoush, mine d'uranium qui aurait vu le jour dans la municipalité de la Baie-James, à 275 kilomètres au nord-est de Chibougamau. Le projet est célébré par le gouvernement de Jean Charest, qui fait la promotion du Plan Nord, sa grande stratégie de développement économique.

LA FAILLITE

Le remplacement du gouvernement de Jean Charest par les péquistes de Pauline Marois ne change rien pour le projet Matoush, qui poursuit son développement. La route 167, construite au coût de 330 millions par le gouvernement québécois pour ouvrir le Nord à l'activité minière, passe par Matoush. Le 28 mars 2013, le gouvernement Marois fait volte-face et stoppe l'activité d'exploration de l'uranium. Le titre de Strateco s'effondre et l'entreprise se place sous la protection de la cour pour éviter la faillite.

L'ONDE DE CHOC

C'est la première fois qu'un projet minier aussi avancé doit être abandonné en raison d'un changement de politique. La nouvelle se répand rapidement dans le secteur minier, que le Québec continue de courtiser pour obtenir des investissements. Sans le sou, Strateco aurait dû normalement abandonner la partie et lécher ses plaies. Mais Third Eye Capital, un fonds torontois qui se spécialise dans le financement des causes qui ont de bonnes chances d'être gagnantes, a mis 10 millions sur la table pour payer les procédures, en échange d'un pourcentage inconnu du règlement.

LES ARGUMENTS

Pour Strateco et son avocat, Doug Mitchell, il est évident que si le Québec est un État de droit, il ne peut révoquer les titres miniers de Strateco sans avertissement et sans compensation. 

« C'est une expropriation. » - L'avocat Doug Mitchell

Personne ne voudra investir au Québec si la décision d'un ministre peut passer par-dessus les lois, ajoute-t-il. Le gouvernement québécois, qui a déjà évoqué le manque d'acceptabilité sociale, notamment de la part des Cris, pour expliquer sa décision, a refusé de préciser davantage sa position hier. « Nous ne commenterons pas le dossier Strateco étant donné qu'il est devant les tribunaux », a fait savoir vendredi la porte-parole du ministre des Ressources naturelles Pierre Arcand.

LES AVENUES POSSIBLES

Cette cause qui pourrait aller jusqu'en Cour suprême a trois issues possibles.

1. Strateco perd sa cause et les millions de dollars investis.

2. Strateco a gain de cause, encaisse les millions et garde sa propriété minière pour la vendre ou la développer plus tard.

3. Le juge coupe la poire en deux et donne raison partiellement à Strateco, en lui accordant une compensation moins élevée que celle qu'elle réclame.

LES CONSÉQUENCES

« Si on perd, les petites entreprises ne seront plus jamais capables de financer leurs projets », affirme Guy Hébert qui, à 67 ans, mène son dernier combat. « Si je fais autre chose, ce ne sera certainement pas dans le secteur minier. »

S'il perd, le gouvernement sait aussi à quoi s'attendre. Dans le compte rendu d'une réunion tenue au plus haut niveau pour traiter du dossier Strateco en 2012, les sous-ministres concernés sont prévenus : l'abandon du projet Matoush « pourrait donner un signal négatif à l'industrie minière » et reviendrait à donner un droit de veto aux Cris sur les projets nordiques, « un précédent possiblement préjudiciable au Québec ».

Photo Hugo-Sébastien Aubert, Archives La Presse

Guy Hébert, président et chef de la direction de Strateco