Même si les actionnaires sont parfois appelés à voter sur les politiques de rémunération des entreprises, il est rarissime de voir ceux-ci s'opposer majoritairement aux sommes d'argent qui sont versées à leurs hauts dirigeants.

Cela s'est pourtant produit à deux reprises ces deux dernières semaines, lors des assemblées d'actionnaires de deux grandes institutions du pays - la Banque CIBC et la société aurifère Barrick Gold.

Aux yeux de certains experts sur la gouvernance d'entreprise, il est encourageant de voir des investisseurs saisir ces occasions pour faire connaître leurs inquiétudes, mais il est encore difficile de prédire si ces votes non contraignants sur les rémunérations entraîneront des changements dans la façon dont les sociétés canadiennes récompensent leurs dirigeants.

Au Canada, les votes sur les politiques de rémunération sont non contraignants. Au total, 147 entreprises canadiennes avaient adopté cette pratique à la fin octobre, selon un rapport de la firme d'avocats Osler, Hoskin & Harcourt.

Ailleurs dans le monde, notamment au Royaume-Uni et en Australie, les sociétés sont tenues légalement de procéder à de tels votes.

L'idée derrière ces votes consultatifs veut que les actionnaires, qui détiennent la société, puissent communiquer avec les administrateurs. Mais les opposants à ce processus jugent que les décisions entourant la rémunération des dirigeants sont complexes et que les administrateurs sont plus à même de les prendre puisqu'ils comprennent mieux comment encourager les patrons à générer les meilleurs résultats.

Mardi, environ 75% des actionnaires de Barrick Gold [[|ticker sym='T.ABX'|]] se sont opposés à la politique de rémunération des hauts dirigeants de la minière. Le principal point litigieux résidait dans la décision d'augmenter la rémunération du président John Thornton à 12,9 millions $ pour l'an dernier, comparativement à 9,5 millions $ en 2013, même si la performance financière de la société s'est détériorée.

Lors de l'assemblée annuelle des actionnaires à Toronto, M. Thornton a répondu aux actionnaires que leur message avait été reçu «cinq sur cinq», ajoutant que la société reverrait son approche au sujet de la rémunération des dirigeants.

C'était la deuxième fois que le chèque de paie de M. Thornton soulevait l'indignation des actionnaires. En 2013, des investisseurs institutionnels avaient renversé la politique de rémunération de l'entreprise en s'y opposant à plus de 85%, pour protester contre la prime à la signature de 11,9 millions $ qu'avait reçue M. Thornton lorsqu'il avait été nommé coprésident.

Mercredi, le chef de la direction de Yamana Gold (TSX:YRI) a annoncé qu'il rendrait les titres qu'il a obtenus en juin dernier après que les actionnaires eurent majoritairement voté contre la politique de rémunération des dirigeants de la minière.

«Nous sommes désolés de ce résultat, mais nous avons clairement compris le message», a déclaré Peter Marrone lors de l'assemblée annuelle des actionnaires à Toronto.

«Nous croyons à la performance, et à la rémunération assujettie à la performance. Nous avons déjà commencé (à nous engager) envers nos actionnaires et nous allons nous assurer d'améliorer nos efforts pour prouver que la performance et la rémunération sont bien alignées», a-t-il ajouté.

Puis, la semaine dernière, lors d'une assemblée à Calgary, près de 57% des actionnaires de la Banque CIBC [[|ticker sym='T.CM'|]] se sont opposés à la politique de rémunération de l'institution financière, essentiellement en raison des importantes sommes versées à deux de ses anciens dirigeants. La CIBC a versé un total de 25 millions $ à son ancien chef de la direction et à son ancien chef de l'exploitation, en plus de leurs pensions existantes, après qu'ils eurent déjà quitté la banque.

«La question est: est-ce que ces votes vont entraîner des changements cosmétiques ou des changements substantiels? Cela reste à voir», a estimé Michel Magnan, de la chaire sur la gouvernance d'entreprise à l'Université Concordia.

Selon M. Magnan, diverses données recueillies partout dans le monde permettent de croire que les actionnaires sont plus enclins à choisir le «non» lors d'un vote sur la politique de rémunération des dirigeants d'une société lorsque l'action de cette dernière performe moins bien et que la rémunération des dirigeants semble déconnectée de la réalité.

«On voit rarement un vote négatif lorsque les affaires vont bien, que les profits se succèdent et que l'action va bien, même si le chef de la direction fait beaucoup d'argent», fait-il remarquer.

«Ces votes surviennent lors de périodes plus difficiles. Habituellement, c'est lorsqu'on observe une performance décevante et que les niveaux de rémunération dans l'entreprise ne se sont pas ajustés aux plus récents niveaux de mauvaise performance», précise-t-il.

Selon le directeur du Clarkson Centre for Board Effectiveness, Matt Fullbrook, les actionnaires canadiens semblent traditionnellement plus enclins à faire confiance aux dirigeants qu'aux États-Unis. Cependant, les plus récents votes indiquent que cela pourrait changer et que les entreprises devront peut-être commencer à mieux expliquer aux investisseurs leurs décisions au sujet de la rémunération.

«Quelques fois, il existe une explication parfaitement intelligente, et les primes à la performance qui ont été mises en place ne visaient pas seulement à être parfaitement alignées, sur une base annuelle, à la performance pour les actionnaires», a noté M. Fullbrook.

«C'est simplement très difficile, d'un point de vue externe, de comprendre vraiment la complexité de la rémunération des dirigeants. Et je n'essaye pas d'excuser ces gens, d'aucune façon», a-t-il ajouté.