Chaque année, un pays émerge d'entre tous à Davos en raison de son dynamisme économique, de l'ingéniosité dont il fait preuve pour générer de la nouvelle croissance. Bref, parce qu'il a une bonne histoire à raconter. Cette année, c'est sans conteste l'Inde qui génère ce buzz particulièrement positif.

L'Inde est omniprésente à Davos où sont placardés un peu partout à proximité du Centre des congrès d'immenses panneaux publicitaires sur lesquels on peut lire en grosses lettres: «Make in India», ce qui est une invitation claire aux entreprises mondiales que le pays cherche de nouveaux investissements.

Si l'Inde s'affiche ainsi à fort prix, c'est qu'elle veut tirer profit du vent de changement qui souffle sur le pays depuis l'élection il y a six mois d'un nouveau premier ministre, Narendra Modi, qui a lancé un train de réformes pour remettre le pays sur les rails de la croissance. Et ça marche.

Le Fonds monétaire international (FMI) nous a appris mardi que l'Inde pourrait dès l'an prochain afficher un plus fort taux de croissance que la Chine. Il prévoit une croissance de 6,5% pour l'Inde comparativement à 6,3% pour la Chine.

De 2003 à 2011, l'Inde a affiché des taux de croissance de cet ordre avant de connaître un ralentissement en 2012-2013 avec une progression économique de 4% en raison, notamment, d'une formidable inertie bureaucratique et d'une corruption endémique qui étranglaient la réalisation de nouveaux investissements industriels.

Un grand ménage a été entrepris par le nouveau gouvernement, ce qui a permis de hausser le taux de croissance de l'Inde de 5,8% en 2014, taux qui fait rougir deux autres piliers des économies émergents: le Brésil et la Russie.

Il reste toutefois encore beaucoup de réformes structurelles à réaliser pour que ce pays de 1,23 milliard d'habitants assure de meilleures conditions de vie à la majorité de ses citoyens.

Une décennie de changements

C'est l'avis de tous les panélistes qui participaient hier à un atelier portant sur les défis de la prochaine décennie en Inde et auquel était invité le ministre indien des Finances, Arun Jaitley.

M. Jaitley a convenu qu'il fallait entreprendre une nouvelle série de réformes structurelles pour simplifier la vie économique et commerciale de son pays, tout comme il faut assainir l'état des finances publiques pour permettre à l'Inde de poursuivre sa croissance.

Bonne nouvelle pour Bombardier qui exploite une immense usine en Inde, le ministre des Finances a dit qu'il fallait notamment prioriser la modernisation de ses chemins de fer pour assurer une plus grande mobilité de la population.

Parmi les experts du panel, l'économiste Nouriel Roubini a mentionné l'urgence de toujours combattre la corruption, de réduire encore la bureaucratie, de réformer les lois du travail, de la propriété des terres, de la fiscalité.

«Mais en ce moment, je vois le verre à moitié plein», a précisé l'économiste, ce qui, venant de sa part, était tout un hommage au dynamisme de l'Inde. Celui que les médias financiers appellent Dr Doom, en raison de sa vision trop souvent catastrophiste, tient rarement des propos aussi optimistes.

Une présence affirmée 

Chose certaine, les dirigeants politiques et les chefs d'entreprise indiens affichent cette année une présence bien affirmée à Davos. Avec ses 120 participants inscrits au Forum économique mondial (FEM), la délégation de l'Inde est la cinquième en importance.

La société indienne Tata Consultancy Services (TCS), l'une des cinq plus grandes firmes de technologies de l'information du monde, a réquisitionné un immeuble entier sur La Promenade, à proximité du Centre des congrès.

On a habillé tout l'édifice aux couleurs de TCS, et la firme reçoit des invités tout au long de la semaine. Hier matin, à l'heure du petit déjeuner, ils étaient plus d'une centaine à débattre de l'internet des objets, grand sujet d'actualité à Davos. Des chercheurs de l'Université Harvard animaient la discussion. Étant donné les coûts hallucinants qu'il faut débourser pour seulement s'inscrire et participer au FEM, on comprend que TCS a dû payer une fortune pour transformer cet immeuble en luxueux centre de rencontres.

Quand j'ai demandé à Abhinav Kumar, vice-président, communications et marketing, de TCS, combien avait coûté une telle exposition pour son entreprise à Davos, il a convenu que rien n'est donné en Suisse.

«Mais, il y a ici 1500 PDG des plus grandes entreprises du monde. Et plus de 140 sont venus nous voir mercredi lors de notre soirée d'invitation. Il faut relativiser le coût en analysant les bénéfices», m'a-t-il expliqué.

Lorsque je lui ai dit que j'avais beaucoup apprécié cette soirée, il m'a demandé en riant que je passe un coup de fil à son PDG pour faire un peu de renforcement positif.

TCS compte plus de 315 000 employés dans une soixantaine de pays. Plus de 300 000 de ces employés sont des ingénieurs. Le groupe réalise 90% de son chiffre d'affaires à l'extérieur de l'Inde, dont plus de 50% aux États-Unis et au Canada.

Carnet des Alpes

Les journées sont empreintes de frénésie à Davos. Il faut courir pour assister aux ateliers où on a réussi à s'inscrire, absorber la matière - qui est souvent très technique - et se déplacer à différents hôtels où se déroulent simultanément des conférences diverses. Les soirées ne sont pas plus reposantes. C'est pire encore.

Dès que les dernières séances de la journée se terminent, vers 17h30 (bien que plusieurs ateliers plutôt culturels, sociaux ou caritatifs se déroulent aussi en soirée), commence la ronde des fêtes, des réceptions et des soirées thématiques. Il faudrait avoir le don d'ubiquité pour espérer assister au dixième des fêtes qui foisonnent jusque tard dans la nuit.

Brochette de stars

Pays et multinationales se disputent ce champ nocturne et proposent des soirées hautes en couleur. Il y a quelques années, j'ai été contraint de serrer la main de Claudia Schiffer, qui accueillait les invités à la réception de Forbes Magazine.

L'année suivante, il fallait affronter Naomi Campbell, heureusement de belle humeur. Un soir, en revenant du cocktail qu'organise chaque année l'ambassade du Canada en Suisse, j'avais fait le trajet en navette avec deux collègues québécois et Emma Thompson, la plus grande actrice britannique et au monde, d'une grande gentillesse et tout excitée de nous parler en français.

Cette année, j'ai assisté à deux soirées moins extravagantes, mais extrêmement sympathiques et riches en enseignements de toutes sortes.

Mercredi, première journée du Forum économique mondial (FEM), je me suis rendu à la soirée d'accueil qu'organisait Tata Consulting Services, l'immense division de TI du conglomérat indien Tata&Sons. J'ai ainsi pu m'entretenir en toute simplicité avec Cyrus P. Mistry, président depuis 2012 de ce mégaholding industriel, qui chapeaute plus de 100 entreprises, dont 32 sont publiques, et dont la valeur boursière frôle les 150 milliards...

Cyrus P. Mistry m'a gentiment expliqué à quel point l'élection du premier ministre Modi avait transformé le paysage économique de l'Inde, qui, selon lui, est résolument de retour en affaires.

Jeudi soir, j'ai fait un saut à la réception du Boston Consulting Group (BCG). Par hasard là encore, j'ai été accueilli par son président pour l'Europe de l'Ouest, l'Amérique du Sud et l'Afrique, qui était l'hôte de la soirée.

Même si je ne suis pas client du BCG mais simple chroniqueur financier, Pascal Cotte a pris beaucoup de temps à m'expliquer les rouages de la boîte de consultants qui vient tout juste de s'implanter à Montréal.

C'est ça, le grand mystère et le grand charme de Davos. Tout le monde se parle spontanément sans rien attendre en retour que de vivre une simple conversation agréable et humaine.

Après avoir terminé ces lignes, je prendrai le chemin de l'incontournable «soirée canadienne» avant de faire un saut à la réception qu'organise la Malaisie, un pays émergent qui prend son envol dans l'ombre de la Chine. De belles discussions en perspective, moins arides que les ateliers de jour...