Alors que le premier ministre Philippe Couillard est en Chine pour promouvoir notamment le Plan Nord, un vétéran de l'industrie minière canadienne jette un pavé dans la mare. Dans une poursuite déposée en cour, l'ancien président de Canadian Royalties dénonce la « mauvaise foi » des dirigeants chinois qui ont pris le contrôle de la mine qu'il gérait au Nunavik.

John Caldbick, qui travaillait pour l'entreprise depuis 2011, en était devenu le président en 2012 et donc le plus haut dirigeant en sol canadien. Il relevait directement du président-directeur général Shu Wu, issu de la société mère chinoise Jilin Jien Nickel Industry.

Cette société chinoise a acquis Canadian Royalties en 2010 et aidé à développer les installations autour des gisements de nickel, de cuivre, de cobalt, de platine, de palladium et d'or qu'elle avait délimités. Les nouveaux investisseurs chinois avaient renouvelé complètement le conseil d'administration, auquel avait siégé Philippe Couillard lui-même jusque-là.

Dans un chalet privé

Dans sa poursuite, M. Caldbick prétend que Shu Wu restait toujours chez lui en Chine et visitait rarement le Canada après que Jilin Jien a acquis la compagnie. Il se mêlait très peu des affaires courantes. Caldbick prétend qu'en juin 2013, il avait réclamé une rencontre d'urgence avec le grand patron Shu Wu pour lui parler des graves problèmes financiers de l'entreprise. Il n'en avait pas obtenu.

Caldbick affirme que le 18 juillet suivant, alors qu'il était à Montréal, il a reçu un courriel de James Xiang, un dirigeant d'une filiale de Jilin Jien, qui lui donnait les directions routières pour se rendre dans un chalet de Lake Rosseau, en Ontario, à près de 700 km de là.

Le lendemain, il est arrivé en voiture à l'endroit convenu, vers 14 h. Il dit avoir été accueilli par 10 personnes, dont la moitié était de Forbes & Manhattan, une banque d'affaires torontoise spécialisée dans le redressement des minières en difficultés. Il les rencontrait pour la première fois. Il a appris en même temps qu'il se trouvait dans le chalet privé d'un dirigeant de Forbes & Manhattan.

Quinze minutes après son arrivée, Caldbick dit avoir été entraîné dans une pièce où il s'est retrouvé face à Shu Wu, qui était venu directement de Chine, ainsi que plusieurs de ses proches collaborateurs.

« La rencontre a eu lieu derrière des portes closes, séparément du reste du groupe, et toutes les personnes présentes mis à part le plaignant étaient Chinoises », précise la poursuite de Caldbick.

Le document raconte comment Shu Wu, à travers son interprète, lui aurait annoncé que Forbes & Manhattan prenait le contrôle effectif des opérations de Canadian Royalties et que Caldbick perdait tout pouvoir, tout statut, toute fonction, mais qu'il demeurerait à l'emploi de la société.

On aurait ensuite ramené le président déchu dans la salle principale, devant ses nouveaux patrons de Forbes & Manhattan, où il aurait été blâmé pour tous les maux de l'entreprise. Caldbick dit aussi avoir été interrogé sans relâche sur un ton accusateur pendant plus d'une heure lors d'une réunion subséquente.

Puis, on l'a envoyé au Nunavik avec ses nouveaux patrons pour faciliter une « transition en douceur » sur le site minier.

« Il s'agissait de deux jours et demi d'humiliation inutile, car le plaignant avait auparavant été dépouillé de toute autorité requise pour faire toute contribution significative devant des individus qu'il avait dirigés et gérés. », peut-on lire dans un extrait de la poursuite de John Caldbick contre Jilin Jien Nickel Industry.

Caldbick prétend avoir été victime d'un « congédiement déguisé », alors qu'on l'avait gardé à l'écart de décisions majeures concernant son entreprise. Il dit que « son état d'esprit, le choc et l'humiliation » l'ont poussé à remettre une lettre de démission.

Il a ainsi perdu son salaire de 420 000 $ par an, mais aussi plusieurs montants auxquels il avait droit, prétend-il. Il réclame aujourd'hui 1,6 million en compensation, notamment pour « mauvaise foi » de la part de ses anciens patrons. Joint par La Presse, il n'a pas voulu commenter davantage son dossier pour l'instant.

Coincé dans le nord

Son récit s'ajoute à celui d'un autre ancien haut dirigeant de Canadian Royalties, Grant Arnold, qui avait déposé une poursuite de 1,3 million après avoir été congédié presque en même temps que Caldbick.

Arnold était sur le site minier au Nunavik lorsqu'il avait reçu un simple courriel de congédiement. Un geste « totalement inattendu », fait de façon « irrespectueuse et brutale », disait-il dans sa poursuite. Il ajoutait avoir été forcé d'attendre trois jours, bloqué sur place, avant qu'on lui trouve une place dans un avion qui revenait à Montréal.

« L'employeur ne s'est aucunement assuré que le demandeur puisse rapidement revenir à la maison lors de son congédiement, ce qui témoigne du manque de respect manifeste de l'employeur », affirmait-il, parlant aussi de « mauvaise foi ». Le dossier de Grant Arnold s'est toutefois réglé par une transaction à l'amiable en avril dernier, dont les détails sont confidentiels.

La direction de Canadian Royalties n'avait pas rappelé La Presse au moment de publier ces lignes.

L'évolution de Canadian Royalties

• 2001: L'entreprise canadienne délimite plusieurs gisements au Nunavik, dans le nord du Québec.

• 2007: Début du développement du projet Nunavik Nickel

• 2008: Les travaux sont suspendus dans la foulée de la crise financière.

• 2010: Acquisition de Canadian Royalties par Jilin Jien Nickel Industry

• 2013: L'entreprise annonce la livraison de premiers chargements de cuivre.