La proposition de l'Argentine de régler sa dette sur la place de Buenos Aires, ses remboursements transitant par les États-Unis étant bloqués en raison d'un litige avec des fonds «vautours», apparaît comme une stratégie risquée et incertaine.

C'était attendu, les fonds «vautours» NML et Aurelius ont d'ores et déjà refusé tout paiement à Buenos Aires, mais les créanciers ayant accepté les restructurations de 2005 et 2010 - 93 % des détenteurs de bons - n'ont pas encore fait connaître leur position.

Selon l'économiste argentin Nicolas Dujovne, la mesure ne pourra convaincre que quelques-uns d'entre eux et «la situation légale et économique du pays ne va faire qu'empirer».

Cette stratégie, dit Carlos Caicedo, économiste de l'institut IHS Country Risk, «isole un peu plus l'Argentine» des marchés de capitaux et «place les créanciers restructurés dans une position difficile. Nombre d'entre eux ne pourront pas changer de juridiction car leur mandat stipule qu'ils ne peuvent acheter que des titres de législation américaine».

En appelant ses créanciers à encaisser leur chèque à Buenos Aires, l'Argentine cherche en fait à esquiver la condamnation du juge américain Thomas Griesa à régler 1,3 milliard à des fonds «vautours» conduits par NML Capital et Aurelius Management, décision à l'origine du blocage à New York d'une échéance de 539 millions de dollars.

Dès jeudi, le juge Griesa a jugé cette offre «illégale» et «en violation des ordres du tribunal».

Le problème est que dans la restructuration de la dette argentine, une clause, la clause RUFO, garantit aux créanciers d'être traités sur un pied d'égalité.

Buenos Aires invoque cette clause en disant que si elle rembourse les fonds «vautours» à 100 % de la valeur des bons, elle s'expose à des revendications des créanciers qui touchent 30 % de la valeur des titres, ce qui est le cas de 93 % des détenteurs de bons.

Selon la présidente argentine de centre gauche Cristina Kirchner, en transférant de New York à Buenos Aires le lieu de paiement de la dette, la troisième économie d'Amérique latine ne cherche finalement qu'à honorer sa dette extérieure.

«Une décision précipitée»

Mais, comme le rappelle Carlos Caicedo, «il y avait des failles légales dans la manière dont l'Argentine a restructuré sa dette, et les soi-disant vautours en ont profité».

Certes «la décision du juge américain a généré la controverse» mais «l'unique issue pour l'Argentine est de négocier avec les holdouts, cela peut sembler injuste, mais c'est la réalité».

Pour Nicolas Dujovne, en changeant le lieu de paiement pour Buenos Aires, «l'Argentine fait croître le risque ''d'accélération'' (que les créanciers restructurés exigent un paiement anticipé, ndlr). Je crois que c'est une décision précipitée, mal conçue, et qui ne sera pas un succès.»

David Rees, économiste de Capital Economics à Londres, juge prématuré de prévoir les conséquences de cette mesure. «Ce sont des développements potentiellement préoccupants», mais il faut désormais attendre de «voir comment les créanciers et les marchés réagissent».

D'après lui, le manque de garanties légales en Argentine risque de les dissuader.

Après une décennie de croissance qui lui a permis de rembourser sa dette en devançant parfois les échéances au gré d'une bonne récolte de soja, l'Argentine est aujourd'hui en proie à la récession, à un déficit énergétique qui entame ses réserves monétaires et à une inflation de 30 %.

Dans un entretien au quotidien argentin Ambito Financiero, le Nobel d'économie Joseph Stiglitz estime pourtant que l'initiative de l'Argentine est viable et «ne provoquera pas d'effets négatifs pour le pays en ce qui concerne une collecte de fonds sur les marchés internationaux. L'Argentine a démontré lors des dernières années volonté et capacité de paiement».

«Si je détiens un actif et si je veux l'échanger volontairement pour un autre, je ne vois pas de raison pour ne pas le faire. C'est la base de l'économie», assure Joseph Stiglitz.