La Russie a été condamnée par la cour d'arbitrage de La Haye à payer une indemnité record de 50 milliards de dollars aux ex-actionnaires majoritaires de la compagnie pétrolière Ioukos, démantelée par Moscou il y a dix ans.

«Le tribunal a de façon unanime et spécifique confirmé que l'offensive de la fédération de Russie contre Ioukos, ses fondateurs, dont Mikhaïl Khodorkovski, et ses employés, était motivée par des raisons politiques», s'est réjoui Tim Osborne, directeur de GML, l'ancien actionnaire majoritaire.

Cette décision sans précédent intervient dans une période déjà tendue pour le pouvoir en Russie, qui fait l'objet de sanctions croissantes des Occidentaux pour son implication dans la crise en Ukraine.

Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a prévenu que Moscou utiliserait «toutes les options juridiques disponibles» pour défendre sa position.

Mais bien que le Kremlin ait adopté ces derniers mois une attitude de défi dans l'affaire ukrainienne, des experts ont souligné qu'il serait difficile pour la Russie d'ignorer cette décision judiciaire sans appel.

«Elle sera appliquée, que ce soit avec ou sans l'accord de la Russie. Ses avoirs à l'étranger peuvent être saisis», a averti le juriste Konstantin Loukoïanov, cité par l'agence de presse russe Itar-Tass.

«Si la Russie refuse d'exécuter volontairement la décision de la Cour, les pays qui reconnaissent l'arbitrage devront récupérer les biens russes qui ne sont pas sous le coup d'une immunité», a confirmé Victor Gerboutov, du cabinet de consultants en arbitrage international Noerr.

Il s'agit donc d'une victoire pour les représentants de GML, dont deux filiales avaient porté plainte contre Moscou aux côtés d'un fonds de pension des ex-salariés de la compagnie pétrolière.

Ils estimaient avoir été floués par le dépeçage de Ioukos, l'ex numéro un du pétrole en Russie accusé par Moscou de fraude fiscale et escroquerie à grande échelle il y a une dizaine d'années.

Ioukos avait été vendu à la découpe en grande partie au groupe pétrolier public russe Rosneft, qui a réaffirmé lundi que l'achat de ces actifs à l'époque «était tout à fait légitime et conforme à la législation», déniant pouvoir faire «l'objet de quelque réclamation que ce soit».

Ioukos avait été placé en liquidation judiciaire en août 2006, à l'issue d'un procès retentissant largement considéré comme inspiré par le Kremlin pour contrecarrer les ambitions politiques affichées par son patron Mikhaïl Khodorkovski.

Le principal objectif de Moscou dans cette procédure «n'était pas de récupérer des impôts mais de précipiter la banqueroute de Ioukos au profit de l'État», a souligné M. Osborne, ravi que la cour d'arbitrage permanente de La Haye ait donné raison à GML.

Cette holding basée à Gibraltar appartenait à M.Khodorkovski, oligarque milliardaire jeté en prison à l'époque avant d'être gracié à la surprise générale en décembre dernier par le président russe Vladimir Poutine, après une décennie passée derrière les barreaux.

«Mafia liée à l'État»

M.Khodorkovski a salué lundi la décision de la cour de la Haye, «premier tribunal indépendant à s'être penché de façon pleine et entière sur le cas Ioukos».

«Du début à la fin, l'affaire Ioukos a constitué un cas exemplaire du pillage sans réserve d'une entreprise brillante par une mafia liée à l'État», a-t-il ajouté sur son site internet.

M. Khodorkovski a toutefois cédé ses actifs dans GML dès 2005 à son ex-partenaire d'affaires et homme de confiance Leonid Nevzline et a réaffirmé lundi qu'il ne tirerait aucun profit financier du verdict.

Reste qu'il «s'agit d'un grand pas en avant pour les actionnaires majoritaires», s'est réjoui M. Osborne lors d'une conférence de presse à Londres.

Ils réclamaient 113 milliards de dollars au total, quatre fois le montant de leur investissement d'origine dans l'entreprise aujourd'hui disparue, arguant que sa valeur serait nettement plus importante aujourd'hui.

Leur avocat, Emmanuel Gaillard, a salué une décision «historique et unanime» de la cour d'arbitrage de La Haye après «dix ans de bataille»: l'indemnité fixée représente 20 fois le montant le plus élevé jamais exigé par cette instance.

Pour l'emporter, les plaignants se sont appuyés sur le Traité sur la charte de l'énergie (TCE), qui protège les investissements dans les projets énergétiques.

Interrogé sur l'opportunité d'éventuelles poursuites contre le géant pétrolier britannique BP, qui possède 20% de Rosneft, M. Osborne a prévenu: «Personne n'est à l'abri».

Moscou fera appel

La Russie a annoncé lundi qu'elle ferait appel de sa condamnation.

«En raison de lacunes importantes dans la décision de la Cour d'arbitrage, la Russie va contester ces décisions devant les tribunaux des Pays-Bas et espère y obtenir un résultat équitable», a indiqué le ministère russe des Finances dans un communiqué.

«Ce sera une procédure d'annulation, une contestation (de la décision de la cour) avec pour but d'obtenir une annulation», a précisé le ministre russe des Finances, Sergueï Stortchak, cité par l'agence Itar-Tass.

«Le tribunal arbitral n'était pas compétent pour étudier la question qui lui a été soumise», ajoute le ministère, expliquant que la Russie n'a pas ratifié le traité sur la Charte de l'énergie (TCE), qui protège les investissements dans les projets énergétiques et sur laquelle se sont appuyés les plaignants pour l'emporter.