Les autorités américaines ont engagé des poursuites mercredi contre deux ex-traders de JPMorgan Chase, dont le Français Julien Grout, pour avoir masqué des pertes de 6 milliards de dollars dans l'affaire de la «baleine de Londres», et n'ont pas exclu d'autres mises en cause.

Julien Grout, un trader du bureau londonien du service d'investissements en propre (CIO) de JPMorgan Chase âgé de 35 ans, était en charge de la préparation des bilans internes quotidiens sur les pertes et profits dans les dérivés de crédits de son service, notamment sur les positions prises par son supérieur direct Bruno Iksil.

Début 2012, les positions de M. Iksil étaient devenues énormes et trop visibles dans le marché opaque où les dérivés se négocient de gré à gré, ce qui lui a valu le surnom de «baleine de Londres». Les autres traders se sont retournés contre lui, forçant la première banque américaine à brader ses positions.

M. Grout fait l'objet de poursuites pénales de la part du département américain de la Justice (DoJ) et civiles de la part du gendarme américain de la Bourse (SEC) aux côtés de l'espagnol Martin-Artajo, 49 ans, qui dirigeait la stratégie de courtage de leur service.

Ils sont accusés de s'être entendus pour avoir falsifié les comptes internes de la première banque américaine afin de masquer les pertes de leur unité qui s'accumulaient pour atteindre des centaines de millions de dollars.

M. Martin-Artajo est notamment accusé d'avoir fait pression sur MM. Iksil et Grout, qui étaient ses subordonnées, et d'avoir refusé à maintes reprise de voir une évaluation réaliste de ces pertes apparaître dans les documents transmis à la hiérarchie de la banque.

Il a même réprimandé M. Iksil lorsque ce dernier les a exposés dans un document, mettant cela sur le compte de son «honnêteté» et de «son problème qui était de vouloir être en paix avec lui-même».

Cuisiner les comptes, recette pour se faire arrêter

«Ces produits étaient peut-être complexes mais les actes criminels présumés étaient simples», a déclaré le procureur fédéral de Manhattan, Preet Bharara, lors d'une conférence de presse.

April Brooks, agent spécial du FBI, a fait valoir lors de cette même conférence que «cuisiner les comptes d'une société est la recette pour se faire arrêter».

M. Grout se trouve actuellement en France où il vit désormais tandis que M. Martin-Artajo, qui réside à Londres, est en vacances à l'étranger.

Ils risquent chacun un maximum de 65 années de prison et 5 millions de dollars d'amende.

Ils n'ont pas encore été arrêtés et M. Bharara a fait savoir que les autorités «(espéraient) toujours voir ces gens se rendre aux États-Unis» pour «se présenter» devant la justice.

Bruno Iksil, longtemps au centre de l'attention dans cette affaire, ne sera pas poursuivi au terme d'un accord amiable selon lequel le DoJ et la SEC lui ont garanti l'immunité contre sa coopération à l'enquête.

M. Bharara a expliqué que M. Iksil avait tenté d'avertir MM. Grout et M. Martin-Artajo de l'ampleur de leurs pertes, qu'il a qualifiées dans des courriels à ses deux collègues de «monstrueuses» ou «effrayantes», entre autres, ajoutant que continuer à les masquer «devenait idiot».

M. Iksil a été «une voix de la raison» dans cette affaire et a «sonné l'alarme à de nombreuses reprises», a estimé M. Bharara. À l'inverse, les contrôles internes de la première banque américaine n'étaient «ni indépendants ni rigoureux», selon lui.

L'enquête du gouvernement américain et des autorités boursières sur les pertes de la «baleine» n'est d'ailleurs «pas terminée» et M. Bharara n'a pas exclu que d'autres dirigeants de JPMorgan Chase puissent ultérieurement être mis en cause.

Il n'a mentionné aucun nom mais Achille Macris, qui dirigeait le CIO à Londres, et Ina Drew, qui supervisait l'ensemble des activités internationales du CIO, pourraient notamment se retrouver dans la ligne de mire.

Un autre «frenchie», l'ancien trader de Goldman Sachs Fabrice Tourre, a été jugé coupable début août de fraude boursière à l'issue d'un procès très médiatisé à New York.