Sergio Marchionne, dont les propos sont parole d'évangile en Italie, a donné l'heure juste au milieu manufacturier, le 13 juin dernier. «Notre économie a besoin d'un pacte social... appelez cela une sorte de plan Marshall pour l'Italie», a déclaré le patron de Fiat et Chrysler au groupe industriel Confindustria, à Florence.

Le plan Marshall est le colossal programme américain de reconstruction de l'Europe après la Seconde Guerre mondiale. Ce cri de ralliement survient au moment où les ravages de la récession sur le secteur industriel italien émergent pour la première fois.

Environ 55 000 usines ont fermé leurs portes depuis 2009, soit 15% dans l'ensemble du pays, selon Confindustria. Une hécatombe de 539 000 emplois. Au septième pays exportateur du monde (deuxième dans la zone euro avec 11,2% des exportations), ces chiffres ont fait leur effet.

Sergio Marchionne lui-même a subi les foudres des Italiens lorsqu'il a déplacé la production du modèle 500 L en Serbie en 2012. Mais les usines italiennes restantes sont sauves pour le moment, promet-il, même si les ventes de Fiat connaissent une baisse de 9,6% cette année en Europe, un scénario qui se répète depuis le premier trimestre de 2009.

Fardeau fiscal

Mais peu de manufacturiers italiens ont les reins aussi solides pour encaisser de telles pertes.

Laura Costato, par exemple, déménagera sa famille et son usine de vis et de boulons en Moldavie en septembre. «C'est ça ou la faillite», dit la directrice administrative de Costato SRL, en banlieue de Milan.

Les affaires avaient bien redécollé depuis 2009, année désastreuse où elle a encouru des pertes de 160 000 euros. Mais son taux d'imposition astronomique étouffe l'embellie dans l'oeuf, constate-t-elle.

«La taxe IRAP [impôt régional sur l'activité productive] engloutit nos profits, explique-t-elle. C'est pourquoi en 2012 nous étions en déficit de 16 000 euros malgré un chiffre d'affaires de 900 000.»

Les gouvernements qui se sont succédé à la barre de l'économie à la dérive n'ont fait qu'alourdir le fardeau fiscal des industries moribondes. Par exemple, l'usine de métallurgie d'Antonella Lattuada, Lamar SRL, a payé un taux corporatif de 75% en 2012, contre 35% en 1993!

Les banques n'offrent pas plus de répit. Environ 44 milliards d'euros de prêts bancaires au secteur privé ont disparu en 2012, selon l'agence Standard&Poor's.

Ainsi, Antonella Lattuada a reçu un coup de fil de sa banque l'année dernière lui indiquant qu'elle devait rembourser illico ses prêts... avec 60% d'intérêt. «C'est du vol institutionnalisé», s'indigne-t-elle.

Le salut hors des frontières

L'association industrielle Confindustria a proposé au nouveau premier ministre Enrico Letta un chapelet de mesures pour insuffler de l'oxygène aux industries: simplification de la bureaucratie kafkaïenne, allégement fiscal, libéralisation du marché du travail, lancement de projets d'infrastructures.

Des économistes, comme Matteo Caroli, sont cependant sceptiques. «Le problème, c'est la demande intérieure, dit le professeur de l'Université Luiss à Rome. La meilleure chance de survie du «Made in Italy» demeure les produits spécialisés prisés à l'étranger.»

Et c'est d'ailleurs sur le haut de gamme que misent plusieurs acteurs importants, comme Pirelli, préférant déplacer les autres chaînes en Pologne ou en Turquie. Un exemple suivi par Antonella Lattuada, qui a modernisé sa machinerie et embauché un prospecteur. «On joue notre va-tout, en espérant que 25% de nos commandes viendront de clients européens dans un an», dit la dame de 53 ans.

De l'avis du professeur Caroli, les industries italiennes profiteront en fin de compte de cette période d'écrémage. «Au soccer, l'équipe italienne attend toujours à la dernière minute pour marquer des buts. C'est la même chose avec cette crise. Quand les Italiens penseront qu'elle est insurmontable, ils retrousseront leurs manches», dit-il.

Les produits italiens les plus exportés en 2012



1) Bitume (2,72% des exportations)

2) Médicaments pharmaceutiques (2,59%)

3) Lingots d'or (2,01%)

4) Pièces d'automobiles (1,25%)

5) Robinets et pièces de tuyauterie (1,19%)

Les principales industries exportatrices

1) Machines et équipements mécaniques (17,9%)

2) Produits métallurgiques (8,2%)

3) Produits chimiques (6,5%)

4) Véhicules motorisés (6,4%)

5) Coke et produits pétroliers raffinés (5,2%)

Source: ICE (Agence pour la promotion à l'étranger et l'internationalisation des entreprises italiennes)

En chiffres

10%


Proportion d'emplois manufacturiers disparus depuis 2009, soit 539 000

55 000

Nombre de fermetures d'usines, pour une perte nette de 32 000 manufactures

- 18%

Baisse de la production industrielle entre 2008 et 2012

24%

Part du PIB provenant du secteur industriel