Pleurs, accolades, soupirs de soulagement: l'émotion était à son comble dans l'entourage des trois anciens dirigeants de Nortel, acquittés de toutes les accusations de fraude qui pesaient sur eux, hier matin à Toronto.

La poursuite n'a pu prouver «hors de tout doute raisonnable» les malversations reprochées à Frank Dunn, ex-PDG, Douglas Beatty, ancien chef des finances, et Michael Gollogly, ex-contrôleur, a indiqué le magistrat Frank Marrocco, de la Cour supérieure de l'Ontario. Les trois hommes évitent ainsi une peine qui aurait pu atteindre 10 ans de prison.

«Après neuf ans d'attente, je suis heureux d'avoir été innocenté», a souligné Frank Dunn dans une déclaration écrite. Sa famille a éclaté en larmes dès l'annonce du verdict.

Les proches et les avocats des accusés se sont félicités pendant de longues minutes après la lecture du jugement, dans une grande salle d'audience lambrissée du palais de justice de Toronto. À l'extérieur, une meute de journalistes attendait la sortie des trois anciens patrons de Nortel.

Greg Lafontaine, avocat de Douglas Beatty, s'est dit «extatique» de la décision du juge Marrocco. «Les raisons données par le juge cadrent exactement avec les arguments que nous avons avancés», a-t-il déclaré. M. Beatty est resté silencieux à ses côtés, mais son visage rougi traduisait une forte émotion.

Sharon Lavine, avocate de Michael Gollogly, a pour sa part indiqué que ce procès avait eu un impact émotionnel «énorme» sur son client, qui espère maintenant tourner la page.

Le procureur de la Couronne, Robert Hubbard, est quant à lui parti en coup de vent après sa défaite, sans répondre aux questions des médias. Le juge Frank Marrocco a détruit en bloc la plupart de ses arguments dans son jugement de 142 pages, rédigé au terme d'un procès hautement technique et truffé de zones grises.

Dix ans plus tard

Ce verdict de non-culpabilité met un terme à une affaire qui s'étirait depuis près de 10 ans. Les faits reprochés aux accusés remontent à la fin de 2002 et au début de 2003, alors que Nortel peinait à revenir à la rentabilité après l'éclatement de la bulle techno.

Pour donner un électrochoc à ses activités, l'équipementier de télécommunications s'est doté d'un ambitieux programme de retour à la profitabilité, assorti de bonis pour ses dirigeants. C'est dans ce contexte que les anciens patrons de Nortel auraient fraudé l'entreprise et empoché illégalement 12,8 millions de dollars en primes, a fait valoir la poursuite.

Les accusés auraient notamment libéré 80 millions de provisions d'une «jarre à biscuits» comptable au premier trimestre de 2003. La méthode visait à créer un profit factice et à générer des primes substantielles pour les dirigeants, selon la Couronne. Or, après l'analyse de nombreux témoignages et documents internes, le juge a rejeté cette interprétation des faits.

«Je suis convaincu que les bonis liés au programme de retour à la profitabilité auraient été payables avec ou sans la libération des 80 millions», a écrit le magistrat dans son jugement.

Le juge Marrocco estime que l'abondante preuve présentée pendant le procès ne permet pas d'incriminer les anciens patrons. «Je n'ai pas été convaincu hors de tout doute raisonnable que [les accusés] ont délibérément manipulé les états financiers de Nortel.»

Loin d'être fini

Malgré la clôture de ce procès, le feuilleton Nortel est loin d'être terminé. Au moment même où la Cour acquittait les anciens patrons du groupe, hier, une centaine de comptables et d'avocats entamaient une rencontre de médiation de cinq jours en vue de départager les 9 milliards d'actifs restants de l'entreprise déchue. Quelque 20 000 retraités comptent parmi les créanciers (voir autre texte).

Au plus fort de sa gloire, Nortel employait 94 000 travailleurs dans le monde et affichait une capitalisation boursière de plus de 300 milliards. MM. Dunn, Beatty et Gollogly ont été congédiés en 2004 après le déclenchement d'une enquête sur des irrégularités comptables par la SEC, chien de garde des marchés aux États-Unis. La GRC a déposé des accusations criminelles beaucoup plus tard au Canada, en 2008.

Nortel s'est placée sous la protection de ses créanciers en 2009, et a terminé en 2011 la vente de ses derniers actifs.

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EN CHIFFRES

9 milliards

Somme tirée de la vente des actifs de Nortel

36 milliards

Total des créances à l'endroit du groupe déchu

20 000

Nombre de retraités qui attendent un dénouement

Source : Bloomberg

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CITATIONS

«Je n'ai pas été convaincu hors de tout doute raisonnable que [les accusés] ont délibérément manipulé les états financiers de Nortel.» - Le juge Frank Marrocco

«Après neuf ans d'attente, je suis heureux d'avoir été innocenté.» - Frank Dunn, ex-PDG de Nortel

«Plusieurs retraités ont perdu leur maison et doivent maintenant vivre chez des membres de leur famille ou des amis.» - Anne Clark-Stewart est porte-parole du groupe Sauvegarde des retraités et anciens employés de Nortel Canada